Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/288

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

damne à n’être point mère. Aussi l’attrait qu’elle exerce est tout à fait étrange : il est très vif, et ne pénètre pas, j’imagine, au-delà de l’épiderme sensible du cœur. Elle a les séductions de la femme, mais sans le vouloir et moins les intentions de séduire. On l’écoute, on la contemple, on l’admire, ravi par une chose charmante sans être attiré. C’est une de ces créations bizarres qui seraient monstrueuses en Europe, où la femme est femme. Imagine quelque chose comme une fleur de luxe exquise et rare, née pour un gynécée d’Orient, qui doit l’embellir et le parfumer pendant le court épanouissement de sa jeunesse, et compare, si tu le veux, à la plus subtile des essences le charme qui se dégage, à l’insu de lui-même, de cet être inutile et délicieux.

— Vous parlez de fleurs, me disait mon ami Vandell un jour où je cherchais, comme aujourd’hui, des comparaisons pour la définir, mais vous n’avez pas trouvé le mot qui convient. Tous les termes sont trop actifs pour donner l’idée de cette existence embryonnaire, sans initiative ni conscience. Il faut un verbe neutre, et le plus neutre sera le meilleur. Je vous en propose un latin : olet, elle exhale. Ajoutez un qualificatif pour exprimer l’attrait de ce fluide odorant, et dites qu’elle sent bon et rayonne comme une bonne odeur. Voilà, je crois, tout ce qui peut être raconté d’elle, et quant à nous, nous sommes des sensuels, agréablement parfumés par le voisinage d’une plante exotique. Il n’y a rien là de bien dangereux, pourvu que de temps en temps nous changions d’air ; seulement c’est à faire douter de l’âme humaine.

La voix d’Haoûa est une musique, je te l’ai dit le jour où je l’entendis pour la première fois, plutôt une musique qu’un langage. Elle parle à peu près comme les oiseaux chantent. Aussi, pour se plaire aux entretiens d’Haoûa, il faut avoir le goût des mélodies incertaines, et l’écouter parler comme on écoute le bruit du vent. Quand on veut la rendre un peu plus tendre, il faut l’appeler aïni, mon œil. Elle alors répond hahibi, mon ami, ou bien ro’ah-diali, mon âme, et rien n’est plus musical et moins passionné : un rossignol dans sa cage en dirait autant.

Il m’est impossible de t’expliquer ce que nous faisons cliez elle, et comment le temps s’y passe. Nous y entrons, nous y restons, nous la quittons, sans que les souvenirs d’aujourd’hui soient plus vifs ni plus mémorables que ceux de la veille. Le soleil pendant ce temps-là décline au-dessus de la cour ; il éclaire alors la chambre d’Haoûa, il y filtre en fine poussière d’or à travers le tissu léger du rideau tendu devant la porte. C’est une illumination qui dure un moment, et pendant laquelle tout ce petit intérieur, plein de soieries, de meubles à facettes, d’étagères enluminées et de porcelaines peintes,