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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/290

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roulé d’une façon bizarre, cachait entièrement ses cheveux, et s’appuyait, comme une mitre asiatique, sur l’arc relevé de ses sourcils peints. Elle avait d’ailleurs peu de bijoux et pas de bagues, modestie assez rare, et qui me parut d’un goût parfait. Un simple trait d’antimoine allongeait ses yeux superbes et les bridait un peu, de manière à les faire involontairement sourire, et une toute petite étoile peinte en bleu pâle la marquait au milieu du front d’un signe hiératique et mystérieux. Elle entra, traînant ses pieds nus sur la haute laine des tapis, et secouant, pour en répandre l’odeur autour d’elle, un mouchoir turc qu’elle venait d’imbiber d’essence. Elle s’approcha du divan, très bas, posa sa main brune et nerveuse sur l’épaule nue de son amie, et se laissa glisser plutôt qu’elle ne s’assit par un mouvement de lassitude impossible à rendre.

— Admirable ! dit Vandell en lui faisant avec cérémonie le salut qu’on doit aux reines.

Nous dînâmes sur le tapis, couchés de côté autour d’une petite table en marqueterie, qui portait les bougies, et d’un haïh de négresse formant nappe, sur lequel on posait les plats. Le service était fait par les deux négresses, et c’était le mari d’Assra qui, pour la circonstance, nous présentait l’aiguière et la serviette brodée de soie de couleur.

Après le dîner, qui fut long, les convives prirent le café, puis le thé, puis fumèrent sans interruption jusqu’à dix heures. Aïchouna se leva la première. Elle s’enveloppa pour partir, mais plus négligemment qu’elle n’aurait fait le jour, du haïk épais qui est de mode à Blidah. Elle en avait seulement un pan plié deux fois sur la tête : le reste la drapait comme un manteau. Avec sa taille élevée, son corset d’argent qui miroitait au-dessous de sa gorge nue, et la tournure assez grandiose de cette draperie flottante, je la trouvai beaucoup plus imposante alors que sans voile, et je la suivis des yeux jusqu’au bout de la galerie. Elle y passa sans bruit dans la lumière blanche de la lune. Yasmina la suivait, portant quelque chose de lourd empaqueté dans un coin de son haïk couleur de sang,

— Vous savez, me dit Vandell en riant, que ce ne sont que des pâtisseries.

Hier un orage éclata dans la soirée pendant que nous prenions le café chez Haoûa. Vers dix heures, il pleuvait à torrens, et l’obscurité devenait telle qu’il était impossible de se diriger pour sortir, à moins de suivre en tâtonnant le pied des murailles. Il ne fallait pas songer à porter une lanterne allumée par un temps pareil. Je demandai donc à Haoûa qu’elle nous permît de passer la nuit chez elle, et comme elle y consentit de bonne grâce, nous restâmes. — Ne t’occupe pas de nous, lui dis-je. Si-Bou-Djâba fera ses plans, moi