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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/323

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rées sur les tableaux qui dominent les public-houses. L’un d’eux, lisant le nom de Whitbread sur son chemin de distance en distance, se demandait si ce M. Whitbread n’était point une sorte de marquis de Carabas, auquel appartenaient toutes ces maisons. Je dissipai son illusion en lui apprenant que les débits de bière avaient deux tableaux, l’un portant le nom du brasseur et qui est généralement le plus en vue, l’autre indiquant le nom du publicain[1]. Or il arrive souvent qu’un grand nombre des public-houses placés à la suite les uns des autres sur une grande route se fournissent à la même brasserie. Une autre circonstance préoccupe le voyageur qui met à déchiffrer les inscriptions des sociétés vivantes le même intérêt qu’apportent certains savans à lire les devises des civilisations mortes. Je parle du mot entire, placé à la suite du nom du brasseur qui alimente la maison. Que veut dire par exemple Allsopp’s entire? Voici la signification de ce mot, dont plusieurs Anglais eux-mêmes ignorent l’origine. Avant 1730, les publicains de l’Angleterre vendaient aux « âmes altérées » de leur temps trois sortes de bière qu’ils versaient de trois tonneaux différens dans le même verre, et ils donnaient à ce mélange le nom de half-and-half. Ce fut alors que le maître d’un de ces cabarets (l’histoire a conservé son nom), Horwood, voulant s’épargner la peine de renouveler chaque jour et à toute heure, sous les yeux de ses pratiques, le miracle de l’unité dans la trinité, imagina de brasser une liqueur qui réunirait une fois pour toutes les qualités des trois autres bières. Il désigna cette composition sous le nom d’entière (entire), qui lui est resté jusqu’à ce jour, au moins sur les affiches. On l’appela ensuite porter à cause de la consommation qu’en font les portefaix et les ouvriers. Les tableaux qui servent d’enseigne aux public-houses sont fournis le plus souvent par les brasseries ; elles ont pour cela un peintre à leur service. La charge de cet artiste n’est pas seulement de dorer des lettres, c’est aussi de peindre les diverses enseignes des débitans, des girafes broutant le feuillage d’un arbre, des lions rouges, des hommes verts[2], des cœurs blancs, des roses blanches, des Robin Hood, des oncles Tom, des Falfstaff, des marquis de Granby, et une grande quantité de portraits d’hommes politiques, les uns morts,

  1. Ou appelle publican en Angleterre le maître du public-house. Il existe plus d’un lien entre lui et le brasseur. Ces rapports peuvent d’ailleurs se résumer en deux mots : surveillance et protection. La surveillance se fonde sur l’espèce de garantie que le nom écrit du brasseur donne à la marchandise débitée. La protection consiste à assister, dans les cas de besoin, ces espèces de succursales auxquelles les grandes brasseries doivent leur splendeur. Il y avait d’ailleurs en 1856 25,454 débitans qui brassaient eux-mêmes leur bière.
  2. Le green man, si célèbre par les enseignes de village, n’a de vert en définitive que le costume. C’est un forester (homme des bois).