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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/368

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taureau furieux. Pourquoi s’appelle-t-il Melampo, direz-vous? Parce que c’est le nom d’un des chiens des trois bergers qui allèrent adorer Jésus naissant.

Cinq ou six personnages, sans compter l’oranger et le chien Melampo, vont paraître. Ana, la veuve de Juan Alvareda, est une femme distinguée dans sa sphère, de manières dignes, d’un esprit prévoyant et à demi cultivé, car elle a été élevée par son frère, qui était curé. Le fils d’Ana, Perico, est un jeune homme peu brillant, mais modeste, laborieux et soumis. La sœur de Perico, Elvira, est une jeune fille maladive qui a gardé sur son visage une vague et touchante expression de délicatesse et de douceur résignée. Voici tout à côté le vieux tio Pedro, un bonhomme à qui les paroles coûtent peu et qui est en fonds de proverbes. Pedro a un fils, Ventura, jeune homme à la taille haute et naturellement élégante, beau, lier et plein de vie. Ventura a toujours l’escopette à l’épaule, Perico n’a que la bêche. Enfin Rita, une nièce des Alvareda, est une jeune fille d’une beauté dangereuse, d’un caractère violent et d’un cœur froid; c’est une nature hardie, provocante et moqueuse. C’est entre ces quelques personnages que se noue le drame de la Famille de Alvareda. Le beau Ventura aime Elvira et veut se marier avec elle. Par cette mystérieuse loi des contrastes qui se retrouve si souvent dans l’amour, le bon Perico est passionnément épris de Rita et veut aussi en faire sa femme. Vainement sa mère cherche-t-elle à le détourner de ce mariage, d’abord à cause du caractère de cette jeune fille, ensuite parce qu’elle dit que « la réprobation pèse sur l’union d’un même sang. » Ana est obligée de céder. Les arrangemens sont bientôt faits, et le jour est déjà venu où ces noces populaires vont se célébrer, lorsque tout à coup on entend un bruit confus et effrayant; c’est une foule fugitive qui se précipite à l’approche des Français, car on est en 1810. Il n’en faut pas plus pour disperser ce petit monde dans la campagne. Le vieux Pedro, se croyant suffisamment garanti par l’âge, veut seul rester dans sa maison, après avoir forcé son fils Ventura à se cacher.

Au même instant survient un grenadier français. En ce temps-là, les grenadiers de la France étaient-ils tous sur ce modèle? Toujours est-il que celui-ci entre en victorieux, demandant au vieux Pedro de lui donner son argent et de lui amener ses filles. Ceci, vous le voyez, n’est pas d’un bon augure, et on ne tarde pas à entendre le bruit sec et clair d’un soufflet tombant sur la joue de l’Espagnol. Aussitôt Ventura, caché jusque-là, s’élance comme un lion, saisit une arme et la plonge dans le corps du Français, qui tombe mort sans pousser un cri. Ces deux hommes, restés debout, le père et le fils, après s’être regardés un instant, prennent le cadavre, qu’ils