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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/37

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de la civilisation. C’est même, il me semble, une opinion reçue parmi les réformistes les plus avancés de la Grande-Bretagne. Faudra-t-il donc faire abstraction de la guerre, et, pour mieux l’abolir, procéder comme si elle n’existait pas ? Cela n’empêchera pas de la rencontrer sur son chemin ; seulement on risquera de la mettre contre soi et bientôt d’y périr. Ce n’est pas tout : en cédant trop à l’esprit scientifique, on oubliera que la guerre, bien qu’elle trouble la civilisation, en peut être l’instrument et l’a été plus d’une fois. L’humanité doit-elle se repentir de la guerre de trente ans ? Sans se préoccuper aucunement de la philosophie des sciences, les Provinces-Unies ontelles eu tort de détruire la tyrannie de l’Espagne ? Les colonies anglaises de l’Amérique du Nord, outragées dans leurs droits, sentent qu’elles peuvent et qu’elles veulent n’appartenir qu’à elles-mêmes. La coalition de Pilnitz conteste à la France le droit de se gouverner comme elle le veut. Une grande puissance, ambitieuse de dominer sur la Baltique et sur le Bosphore, menace les gouvernemens dans leur indépendance et les nations dans leur liberté. Est-ce le cas d’éliminer, de réfuter la guerre comme une erreur, de la réformer comme un abus, et de perdre la civilisation pour l’honneur de la théorie ? Au lieu de sacrifier les armées à l’économie politique, ne vaut-il pas mieux leur dire, comme Lafayette :

Ignorantne datos ne quisquam serviat enses ?

Dans ce cas, comme dans cent autres moins saillans et plus communs, on reconnaîtra que le développement de l’esprit d’examen scientifique est loin d’être l’unique moyen de servir les intérêts, les droits, les progrès de la société, et de faire avancer la civilisation. Ce n’est pas par une seule voie que les nations les plus dignes d’être imitées sont arrivées au point où nous les voyons. L’humanité, passez-moi ce mot familier, a plus d’une corde à son arc.

Ce qu’a fait l’économie politique pour l’Angleterre est immense. La statistique, qui n’est que d’hier, est destinée à produire des résultats incalculables. À mesure que le temps en perfectionnera les procédés, en multipliera les applications, le jour se fera dans la société, et plus tard, j’en suis assuré, grâce aux nouvelles lumières, on s’étonnera de l’avoir si longtemps gouvernée en la connaissant si peu. Je n’ai nulle envie de décourager ces infatigables chercheurs et collecteurs de faits qui, pour parler comme Bacon, vendangent pour la science ; mais, en Angleterre même, l’exclusive préoccupation des faits numérables et mesurables a, par réaction, amené des observateurs d’un autre genre à protester contre les prétentions absolues des écoles économistes. Au moment où j’admirais tant de