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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/375

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vieux se plaindre, et le jeune homme jouir de son amour. » Ou bien encore : « Si je me perds, que l’on me cherche du côté du midi, là où naissent les brunes jeunes filles, là où on fait le sel. »

Un des points les plus curieux à observer, ce serait la part du catholicisme dans cette vie sociale, dans ce caractère populaire. Cette part est immense. Le catholicisme de l’Espagne, et surtout de l’Andalousie, n’est pas seulement une religion, un ensemble de dogmes parlant à l’intelligence; il n’a rien de métaphysique ni d’abstrait, il a au contraire une couleur extraordinaire de réalité. Il est partout et il est l’explication de tout; il est dans les mœurs, dans la manière de voir et de sentir, dans les caresses de la mère à son enfant, dans les relations des hommes, dans les usages les plus familiers et même dans le plaisir. Il est passé dans la chair et dans le sang du peuple. Lorsque, dans la Famille de Alvareda, le jeune Ventura, revenant de l’armée, raconte qu’un de ses camarades est allé au nord avec le marquis de la Romana dans une terre où on ne manie pas le couteau, il est vrai, mais où la neige couvre le sol, où l’on mange du pain noir, des pommes de terre et du lait, où il n’y a ni frères ni moines, où enfin les églises sont peu nombreuses et ressemblent à des hôpitaux dévalisés, sans chapelles, sans autels et sans images, c’est une stupéfaction profonde parmi les naïfs auditeurs, qui ont comme un frisson de joie en se sentant à l’abri de ce ciel froid et de l’hérésie, a Oh! mon soleil, mon pain blanc, mon église, ma vierge santissima, ma terre, ma foi et mon Dieu! s’écrie la vieille Maria; bienheureuse mille fois d’être née ici et d’y mourir! Grâce à Dieu, tu n’es pas allé à cette terre, fils; terre d’hérétiques!... »

On sait la puissance de la représentation extérieure dans la religion en Espagne. La passion est tout un drame; les fêtes ont une mise en scène éclatante, où se mêlent les choses les plus diverses, témoin cette danse qui est un des intermèdes de la procession du Corpus. Il s’est formé en outre une sorte de mythologie populaire où les traditions chrétiennes sont fécondées, brodées et transformées par une imagination qui aime à rendre tout sensible, à donner une forme familière à ses croyances et à rattacher les plus simples faits à quelque souvenir religieux. Pourquoi, direz-vous, le romarin est-il une plante qui se plaît chez les pauvres, et que les pauvres ont en prédilection? Parce que pour ceux-ci c’est une plante sacrée depuis que la Vierge étendit sur un romarin les langes du Dieu-enfant. Pourquoi l’hirondelle est-elle un oiseau aimé et respecté, accueilli en signe de bonheur? C’est que ce fut une hirondelle qui alla arracher les épines enfoncées dans le front saignant du Christ. Le hibou était autrefois un des oiseaux qui chantaient le mieux; il se trouva présent lorsque le Seigneur expira, et depuis ce moment il n’a plus