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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/385

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L’ASILE



I.

L’histoire qu’on va lire a été mille fois racontée et le sera mille fois encore en produisant même indignation chez ceux-ci, même attendrissement chez ceux-là. Tu ne te doutes guère, ma pauvre Lucette, toi qui atteins à peine tes vingt ans, que depuis dix-huit siècles et plus on médit de ton cœur où un dieu cependant a savouré le premier sacrifice des tendres repentirs et des larmes sacrées. Tu as touché en secret plus d’un docteur, mais tu ne désarmeras jamais les belles pharisiennes. — Comment, diront-elles, peut-on aimer de pareilles créatures? En vérité les attachemens qu’elles inspirent tiennent de la dégradation et de la folie. — Chacun de nous connaît ces aménités, et peut en retrouver toute la série dans sa mémoire. Voici par quel récit on pourrait leur répondre, si ce qui suit toutefois peut s’appeler un récit, car lettres, entretiens, rêveries, tout ce que je pourrai prendre d’une existence où j’ai pénétré, je le jetterai dans cette page intime que je voudrais rendre par excellence vivante et animée. J’imiterai l’artiste florentin jetant tout ce qui se rencontre sous sa main dans la fournaise d’où doit sortir sa statue.

« En avançant dans la vie, disait récemment Jacques de Mesrour, il y a bien des jalousies que je ne comprends plus, ou, pour parler avec plus de justesse, que je ne pratique plus. J’ai en horreur les tortures que nous imposons à nos premières maîtresses par toutes nos questions indiscrètes, suivies de fureurs et de lamentations. J’accepte avec résignation cette pensée que les femmes ont un passé tout comme nous, bagage un peu moins lourd que le nôtre, mais d’une nature encore fort embarrassante et très désobligeante surtout, quand il s’agit de se lancer dans les grands pèlerinages amou-