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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/41

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à les condamner. Il les a irrésistiblement distingués en bons et mauvais, en permis et non permis ; peut-être même le commandement et l’interdiction ont-ils commencé à se faire entendre dans la société. Cette distinction entre le bien et le mal généralisée, c’est l’idée morale. Par les raisons qu’on vient de voir, l’idée morale a dû se lier à l’idée religieuse et à l’idée politique. La nature contraint ou empêche, la société ordonne ou défend. La conscience parle le même langage. Ainsi la religion, la politique, la morale tendent à s’unir, à se confondre, et quoique leur alliance soit rarement conclue dans des conditions raisonnables, quoique la superstition, la force et la passion entrent pour beaucoup dans la combinaison, ce concert, si commun chez les peuples naissans, est cependant le signe d’une civilisation qui se développe : il indique que le genre humain s’élève ; mais comme ce mouvement s’est opéré sous l’influence de l’imagination plutôt que de la raison, c’est un progrès vers la vérité encore bien loin de la vérité. Cet état, qu’il plaît à Auguste Comte d’appeler théologique, est trop souvent l’âge d’idolâtrie de la religion.

Quoi qu’il en soit de toutes ces notions ou plutôt de toutes ces croyances religieuses, morales, politiques, naturelles, technologiques, elles restent dans la mémoire avec la tradition des faits qui en ont accompagné la naissance. La réflexion, aidée du langage et servie par l’imagination, tire de là une œuvre nouvelle. C’est l’expression qui reproduit tous ces souvenirs, les développe et les propage. Là est le germe de toute littérature, germe qui éclôt sous la forme de cette fleur qu’on nomme poésie. De même qu’en s’attachant au vrai la littérature trouve le beau, l’art le rencontre aussi en cherchant l’utile. Ainsi la civilisation s’enrichit de ses fruits les plus précieux.

Tels sont les élémens essentiels de toute société. On ne l’appelle à juste titre civilisée qu’après que le temps leur a donné de certains accroissemens, et que la nation, instruite par les traditions orales ou écrites, a pu acquérir une certaine conscience de tout ce qu’elle est avec une certaine mémoire de ce qu’elle a été. D’ailleurs ces élémens qui la composent, ils ont été certainement partout modifiés par les lieux, par les climats, par les grands accidens de la nature, par les influences étrangères, comme la guerre, le commerce, les voyages, les migrations, les colonisations, les conquêtes. Enfin tout le monde parle par tout pays du caractère ou du génie national. Ce paraît être le résultat de toutes les circonstances qui agissent, soit sur l’organisation, soit sur la nature morale de la portion de l’humanité qu’elles ont entourée dès son berceau. Il se peut aussi que dès l’origine cette portion de l’humanité eût de certains traits ineffaçables sans être nécessairement primitifs : ce