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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/43

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de la renaissance. Depuis ces temps seulement, il y aurait donc eu progrès et civilisation. Depuis trois siècles seulement, l’humanité serait digne d’avoir une histoire. Cependant, depuis l’origine des temps historiques, le sens commun, l’imagination, la passion, la tradition, l’habitude, le vice et la vertu, toutes les facultés et tous les penchans empiriques de la nature humaine ont agi sur la terre, fait beaucoup de bien, fait beaucoup de mal, et laissé le sol social couvert de leurs traces et de leurs monumens. Or il est impossible de tout attribuer à ces procédés d’examen méthodique auxquels on assigne une date si récente. Ce n’est pas la méthode baconienne par exemple qui a amené un jour du rivage ionien une tribu détachée de l’antique race aryenne dans la presqu’île hellénique, et qui a fait naître en foule sous un ciel incomparable, entre des mers toujours voisines, ces hérauts d’intelligence parlant la première langue du monde. Ce n’est pourtant pas un fait insignifiant que l’existence de la Grèce dans l’histoire de la civilisation de l’humanité. La Grèce de moins, se figure-t-on ce que serait le monde ?

Mais, cette observation faite, nous sommes prêt à reconnaître que toutes les œuvres sociales, toutes les créations de l’humanité, se transformant en connaissances, finissent en dernière analyse par se résumer dans l’intelligence, et qu’on peut retrouver dans l’esprit d’un peuple les effets des institutions qu’il s’est données, des travaux qu’il a accomplis, des guerres qu’il a soutenues, des terres même qu’il a défrichées, de l’air enfin qu’il a respiré. Nous ajouterons que, bien que la nécessité, le hasard, mille causes externes aient contribué à le faire ce qu’il est moralement, de bonne heure, et bien avant le xvie siècle, un esprit de curiosité instructive s’est développé parmi les hommes, et que, sans être réduit en règles, ni soutenu par une longue expérience, il a dirigé quelques intelligences d’élite, suggéré même à la multitude quelques notions indispensables. Le fil est aussi ancien que le labyrinthe. L’homme s’en est servi avant de s’apercevoir qu’il l’avait dans les mains, et ce que le temps lui a surtout appris, c’est l’art de l’employer, le courage de s’y confier, l’ardeur à le dévider rapidement en pressant le pas. De là en effet date l’émancipation de l’esprit humain, et depuis la réformation et la renaissance, sans que les autres principes d’action aient disparu de la société, l’accélération et l’étendue des progrès sont principalement dues, je veux bien l’avouer, à l’esprit humain en soi, à l’esprit humain soutenu par le sentiment de ses droits, par la confiance dans ses forces, par la puissance de ses méthodes, par la grandeur de ses œuvres, par une pleine possession de lui-même enfin. Toutefois il ne résulte pas de cet aveu que les choses humaines aient à ce point changé de face, qu’elles aient