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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/460

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c’est un autre motif, bien moins légitime. Sans l’expropriation d’un tiers du territoire, toutes ces fureurs étaient inutiles; avec elle, tout devient nécessaire, tout s’enchaîne; le coup porté à la propriété conduit à la guerre civile, la guerre civile à la mort du roi, la mort du roi à la guerre universelle. Aujourd’hui que ces cendres sont refroidies par près de trois quarts de siècle, on peut dire ces vérités sans danger.

Qui a le plus supporté les conséquences funestes de ces violences accumulées? La dupe éternelle de tous ceux qui le flattent, le peuple. Pendant que les habiles spéculaient sur la confusion et achetaient pour la moitié ou le quart de leur valeur les biens mis en vente, le plus grand nombre courait aux armes. Même sans prendre au pied de la lettre les quatorze armées de la convention, que d’hommes enlevés à la charrue et moissonnés par la misère plus que par l’ennemi! Nous avons vu récemment combien la guerre fait de victimes, à une époque où l’organisation administrative, la science médicale, la puissance financière, l’art des transports, tout ce qui peut défendre la vie des hommes est parvenu à un haut point de perfection; que faut-il penser d’un temps où tout manquait à la fois, l’argent, l’expérience, la discipline, et où des soldats improvisés marchaient au combat sans pain, sans souliers, sans chefs, presque sans armes? Combien en est-il mort sur les routes et dans les hôpitaux, de ces héroïques volontaires? Qui le sait, et qui le saura jamais? En évaluant à un million d’hommes la perte de la France dans les huit années de la guerre révolutionnaire, de 1792 à 1799, on est probablement au-dessous de la vérité, sans compter ceux qui ont péri à l’intérieur par la famine et par les exécutions capitales. En même temps le séquestre était mis sur un tiers du territoire (on sait ce que devient l’administration des biens placés sous le séquestre), et l’agiotage sur les assignats jetait dans toutes les affaires privées un épouvantable désordre.

« Dès ce moment, portait le décret du 23 août 1793 pour la fameuse levée en masse, tous les Français seront en réquisition pour le service des armées. Les jeunes gens iront au combat, les hommes mariés forgeront des armes et transporteront les subsistances; les femmes feront des tentes, des habits, et serviront dans les hôpitaux; les enfans mettront du vieux linge en charpie; les vieillards se feront porter sur les places publiques pour exciter le courage des guerriers, prêcher la haine des rois et l’amour de la république. » Chevaux, grains, bestiaux, tout était mis en réquisition, et il s’en perdait au moins autant par le vol et le gaspillage qu’il s’en employait utilement. Si ces prescriptions avaient été exécutées à la rigueur, il ne serait resté ni un homme ni une bête de somme pour ouvrir un sillon. Il fallait sans doute défendre le sol national contre