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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/487

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Imagine un millier de femmes au moins , c’est-à-dire la grande moitié de cette étrange assemblée, toutes, non pas habillées, — car le voile uniforme cachait au contraire des splendeurs innombrables de couleurs, — mais enveloppées de rouge, et de rouge éclatant, sans nuances, sans adoucissement ni mélange, le pur rouge à peine exprimable par la palette, enflammé en outre par le soleil, et poussé jusqu’à l’extrême ardeur par toute sorte de contacts irritans. Ce vaste étalage d’étoffes flamboyantes se déployait en effet sur un tapis d’herbes printanières du vert le plus vif, et se détachait sur une mer du bleu le plus âpre, car il faisait un peu de vent, et la mer frissonnait. De loin, ce qu’on apercevait d’abord, c’était un tertre verdoyant, confusément empourpré de coquelicots. De près, l’effet de ces fleurs singulières devenait insoutenable, et lorsqu’une douzaine de femmes se réunissaient sur le même point, entourées d’enfans vêtus comme elles, et de manière à ne plus former qu’un seul groupe pleinement coloré de vermillon, il était impossible de considérer longtemps ce foyer de lumière et d’éclat sans en être pour ainsi dire aveuglé. Tout pâlissait à côté de ce rouge inimitable, dont la violence eût effrayé Rubens, le seul homme du monde à qui le rouge, quel qu’il fut, n’ait jamais fait peur, et c’était la note dominante qui forçait les autres couleurs à se marier dans des accords doux.

La population nègre d’Alger avait aujourd’hui vidé ses coffres ; elle avait mis dehors sans réserve, et avec l’excessive ostentation des pauvres, des avares et des sauvages, l’opulence inattendue de ses costumes, de ses parures et de ses bijoux, car la garde-robe des marchandes de galettes et des servantes renferme des trésors dont personne ne se doute, et qui sont réservés pour paraître dans cette fête unique. Chacune d’elles avait donc, comme un navire qui se pavoise, arboré ce qu’elle possédait de plus riche, c’est-à-dire de plus bizarre et de plus voyant. Pas une ne portait le voile gros bleu. Les haïks quadrillés de couleurs tristes tenaient lieu de tapis à celles qui n’en avaient pas d’autres, ou servaient à composer des tentes, des abris et des parasols, et c’était à l’ombre de leur livrée de domestiques que les esclaves déguisées en princesses passaient cette journée d’indépendance et de luxe.

On voyait là tout ce que la teinture orientale peut produire en vivacités, avec ce que la polychromie nègre peut imaginer de plus imprévu : les soieries, les laines multicolores, les chemisettes lamées, rayées, pointillées, pailletées de broderies, dont les manches ondoyaient avec des étincelles ; de petits corsets d’étoffe, d’autres couverts de métal, agrafés très haut, comprimant la gorge et la gonflant ; les fouta de soie légère et frissonnante bariolés à l’infini et habillant