Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/491

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je voulus me joindre au très petit nombre de ceux qui lui faisaient cortège, et je le suivis jusqu’au cimetière. La cérémonie fut courte ; il ne fit que passer par le marabout où l’on déshabille ordinairement les morts et qui sert de vestibule au tombeau. Presque aussitôt je le vis paraître, porté à bras et noué seulement dans un linceul. Deux fossoyeurs faisaient le trou, à peu près comme dans Hamlet : un dans la fosse et la creusant, l’autre enlevant la terre avec un panier. Le trou fait, on y laissa couler le cadavre, puis la terre. Dix minutes après, la fosse était comblée et formait seulement dos de sillon ; c’était à ne plus savoir ce qu’on avait mis là, si c’était un homme ou quelque semence.

Si Nâman n’a pas laissé d’héritier, ce qui est probable, et si sa pjpe est restée entre les mains du kaouadji, je l’achèterai, et tu verras un jour cette pipe homicide.

P. S. Rien de nouveau ici. Je suis monté au carrefour, où j’ai vu Sid-Abdallah, qui me croyait parti pour la France ; il ne m’a point parlé d’Haoûa. J’ai retrouvé avec émotion ma maison, ma prison d’hiver, et le jardin où les arbres fleurissent. La prairie n’est plus un pré, mais une vraie moisson. Les vaches s’y promènent, enfouies dans l’herbe jusqu’au ventre. La campagne est inondée de l’odeur des foins. Je n’ai pas de raisons pour rester à Mustapha. Vandell m’attend à Blidah, et je pars demain.


Blidah, mai.

Il s’est écoulé plusieurs semaines depuis le jour où je t’écrivais d’Alger. Je les ai passées aussi laborieusement que possible, enfermé dans cette petite ville dont l’air humide et chaud affaiblirait les plus forts par des conseils irrésistibles de mollesse. C’est la dernière séduction qu’elle ait gardée de ses origines : une sorte de bien-être physique et d’oubli de soi-même, qui ressemble à l’effet d’un bain prolongé. Nous voici au 15 mai, c’est-à-dire en été. Les jours sont longs, les midis pesans ; pour vivre d’accord avec le climat, il faut jouir des matinées et des soirées, qui sont encore douces, et déjà consacrer le milieu du jour au sommeil.

Vandell m’a quitté hier. Il ne va pas loin, m’a-t-il dit, et ne restera pas longtemps absent. Comme il ne m’avait aucunement prévenu de son départ, je fus très surpris, en m’ éveillant au petit jour, de le voir à la porte de ma chambre bouclant ses guêtres de voyage et roulant son burnouss en porte-manteau.

— Où donc allez-vous ? lui criai-je.

— Je pars, me dit-il ; j’ai réfléchi cette nuit que je m’engourdissais et prenais de mauvaises habitudes. Je ne saurais vous dire où je vais ; mais je m’en vais. Que je vous écrive ou non, ne m’atten-