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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/495

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— Vois-tu ? dis-je à mon bach’amar (conducteur de convoi) saharien. Voici comment est l’eau de mon pays.

Le bach’amar en but une gorgée dans le creux de sa main, la goûta comme il aurait fait d’une boisson inconnue, regarda le sentier pierreux qui montait en spirale autour des flancs sombres du coteau, les arbres qui n’étaient point des palmiers, et répondit simplement : — Dieu fait bien ce qu’il fait.

Je pensai comme lui, mon ami, et quand la première ardeur de boire fut apaisée, je dis au Saharien : — Tu as raison, ton pays est le plus beau du monde.

Le onzième jour après mon départ d’El-Aghouat, j’arrivai chez moi au moment où le cyprès qui me sert de cadran indiquait un peu plus de quatre heures.


Blidah, août.

— D’où viens-tu ? m’a demandé Haoûa en me revoyant.

— Du sud, lui dis-je, et je lui nommai El-Aghouat.

— Le Sahara est le pays de mon père, ajouta-t-elle alors avec autant d’indifférence qu’un spinosiste à qui l’on parlerait du paradis d’Adam. — Et pourquoi m’as-tu quittée ?

Je repris ma place accoutumée sur son divan et je lui répondis : — Pour te laisser faire ta sieste d’été.

Je l’ai retrouvée telle à peu près qu’il y a trois mois, seulement un peu plus languissante encore et sensiblement moins vêtue. Aïchouna, dont je me suis informé, passe une partie de ses soirées dans les bîtas, petites fêtes de nuit moitié bals et moitié concerts, où elle a, dit-on, beaucoup de succès comme danseuse. Le barbier Hassan m’a témoigné combien mon départ subit et ma longue absence l’avaient inquiété ; pour donner plus de prix à ses paroles, il entremêla son vocabulaire un peu corrompu de locutions françaises telles que celles-ci : mon cher et sacredié. Quant au scribe Ben-Hamida, je l’ai rencontré le lendemain même de mon arrivée. Charmant, frais et reposé comme une fille qui sort du bain, il portait, ce qui me l’a fait apercevoir de loin, une longue pelisse de couleur tendre et se dandinait élégamment avec un éventail de boudoir à la main.

— Beau visage, bonne étoile, lui dit Vandell en le complimentant de sa bonne mine.

Ben-Hamida me questionna sur mon voyage, sur l’avenir probable de notre établissement à El-Aghouat, sur l’esprit des populations sahariennes, me demanda quelle était leur attitude, ce qu’on disait du schériff agitateur du sud et ce qu’on redoutait de lui, le tout avec la curiosité naturelle d’un homme éclairé que la politique