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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/504

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stacle dont personne au monde ne s’était préoccupé quand il s’agissait de peindre des hommes.

« Que devient alors le milieu même où nous apercevons la scène : cette place blanche, ces cyprès verts, ce soleil blanc des heures méridiennes ? Que devient tout cet entourage local et significatif, — essentiel si l’on veut localiser la scène, inutile au contraire si l’on veut la généraliser ? On touche ainsi aux abstractions, et, sans le vouloir, par le seul fait d’un point de vue plus sévère et plus concentrique, on sort de la nature pour entrer dans les combinaisons de l’atelier ; on abandonne le vrai relatif pour un ordre de vérité plus large, moins précise et d’autant plus absolue qu’elle est moins locale. Pour nous, cette petite place de Blidah, solitaire, fortement éclairée par la pleine lumière d’un beau jour d’été, ces vestes rouges et ces culottes blanches, ces jolis enfans un peu bizarres, et c’est par là surtout qu’ils nous séduisent, la chaleur, le bruit, la diversité de la scène à chaque instant changeante, tout cela compose un ensemble d’impressions multiples et nous charme à ce titre surtout que nous y voyons l’individuel caractère d’un tableau d’Orient. Il y a au contraire des peintres, et j’en connais, qui ne prendraient là que le nécessaire, estimant que ce qu’il y a de plus intéressant dans ces enfans, ce n’est pas d’être de petits Blidiens, c’est d’être des enfans ; ceux-là sans contredit auraient raison.

« Ce procédé de l’esprit qui consiste à choisir son point de vue, à déterminer la scène, à l’isoler du milieu qui l’absorbe, à sacrifier les fonds, à les faire imaginer plutôt qu’à les montrer ; le soin d’expliquer ce qui doit être expliqué et de sous-entendre les accessoires ; l’art d’indiquer les choses par des ellipses et de faire imaginer même ce que le spectateur ne voit pas, ce grand art de se servir de la nature sans la stéréotyper, tantôt de la copier jusqu’à la servilité, tantôt de la négliger jusqu’à l’oubli ; ce difficile équilibre des vraisemblances qui oblige à demeurer vrai sans être exact, à peindre et non pas à décrire, à donner non pas les illusions, mais les impressions de la vie : tout cela se traduit par un mot ordinaire, et qui fait le sujet de bien des équivoques, peut-être parce qu’il n’a jamais été bien défini, je veux dire l’interprétation,

« La question se réduit à savoir si l’Orient se prête à l’interprétation, dans quelle mesure il l’admet, et si l’interpréter n’est pas le détruire. Je ne fais point de paradoxe ; j’examine. Ce n’est pas une objection que je crée, je la signale. Et croyez qu’il m’en coûte de médire d’un pays auquel je dois beaucoup.

« L’Orient est très particulier. Il a ce grand tort pour nous d’être inconnu et nouveau, et d’éveiller d’abord un sentiment étranger à l’art, le plus dangereux de tous, et que je voudrais proscrire : celui