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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/510

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faire avec l’Orient quelque chose d’assez individuel et à la fois d’assez général pour devenir l’équivalent de cette idée simple du fleuve ? »

Voilà, mon ami, à peu près ce que je disais à Vandell. Tire de ce chaos d’objections, d’aperçus, de notes éparses, la conclusion que tu voudras. Je te rapporte un entretien qui n’est pas un livre de dogme, qui n’est pas même un chapitre de critique. La conclusion personnelle que j’en ai tirée, moi, la voici : il est probable que j’échouerai dans ce que j’entreprends, ce qui ne prouvera pas que l’entreprise est irréalisable. Il est possible aussi que, par une contradiction trop commune à beaucoup d’esprits, je sois entraîné précisément vers les curiosités que je condamne, que le penchant soit plus fort que les idées, et l’instinct plus impérieux que les théories.


Octobre.

Il est convenu que nous partirons demain pour une excursion de chasse qui doit durer trois ou quatre jours. Nous battrons d’abord le lac Haloula, puis toutes les collines jusqu’à Tipaza, où nous irons tuer des lapins dans les voies romaines.

C’est le commandant *** qui conduit la chasse ; nos compagnons sont de vieux Africains, officiers de cavalerie indigène, connus comme des tireurs de premier ordre, et, ceci soit dit afin de t’expliquer d’avance l’allure militaire de notre expédition, nous emmenons, à titre de domestiques, de garde d’honneur ou d’escorte, suivant le cas, dix spahis pris dans les manteaux rouges de Blidah. Le convoi, qui pourrait être plus modeste, se compose de deux prolonges ou chariots du train à quatre chevaux. Les chiens, dont on veut ménager les forces pour le lendemain, voyageront dans les voitures avec le matériel de campement, les bagages, l’arsenal des fusils de chasse et les munitions, lesquelles sont calculées d’après un minimum de cent coups par tireur. Dernier détail enfin qui te fera juger du massacre qui se prépare, nous emportons trois grands sacs à pain destinés à contenir le gibier qui ne sera pas mangé sur place et le gibier d’eau qui ne sera pas mangeable.

— Ne vous attendez pas, m’a dit Vandell en me renseignant sur des habitudes peu connues sans doute ailleurs qu’en Algérie, à procéder, comme en France, à petit bruit et à petits pas. Les chiens d’arrêt ne servent ici qu’à trouver la piste. Le gibier rencontré, le chasseur se charge du reste, avec son fusil pour le tirer tant qu’il vole, avec son cheval pour le poursuivre de remise en remise, pour le lasser, le forcer, le piétiner, quand il n’en peut plus. C’est une alliance assez originale, et qui vous surprendra, je crois, de la chasse à courre et de la chasse à tir, le mélange attrayant de deux