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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/552

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comme donnée par vous, mais comme due à mon mérite et à ma beauté. » Indamora, à qui un vieux courtisan fait une déclaration d’amour, lui dit son fait avec une gloriole de parvenue et une grossièreté de servante : « Quand je ne serais pas reine, avez-vous pesé ma beauté, ma jeunesse, qui est dans sa fleur, et votre vieillesse, qui est dans sa décrépitude ? » Nulle d’entre ces héroïnes ne sait se conduire ; elles prennent l’impertinence pour la dignité, la sensualité pour la tendresse ; elles ont des abandons de courtisane, des jalousies de grisette, des petitesses de bourgeoise et des injures de harengère. Quant aux héros, ce sont les plus déplaisans des Fierabras. Léonidas, d’abord reconnu pour prince héréditaire, puis tout d’un coup abandonné, se console par cette réflexion modeste : « Il est vrai, je suis seul ; mais Dieu l’était aussi avant de faire le monde, et il était mieux servi par lui-même que par la nature. » Parlerai-je du plus grand sonneur de fanfares, Almanzor, peint, dit Dryden lui-même, d’après Artaban, redresseur de torts, pourfendeur de bataillons, destructeur de monarchies? Ce ne sont que sentimens chargés, dévouemens improvisés, générosités exagérées, emphase ronflante de chevalerie maladroite ; au fond, les personnages sont des rustres et des barbares qui ont essayé de s’affubler de l’honneur français et de la politesse mondaine. Et telle est en effet cette cour : elle imite celle de Louis XIV comme un faiseur d’enseignes copie un peintre. Elle n’a ni goût ni délicatesse, et s’en veut donner l’extérieur. Des entremetteurs et des dévergondées, des courtisans spadassins ou bourreaux qui vont voir éventrer Harrison ou qui mutilent Coventry, des filles d’honneur qui accouchent au bal, ou vendent aux planteurs les condamnés qu’on leur livre, un palais plein de chiens qui aboient et de joueurs qui crient, un roi qui en public lutte de gros mots avec ses maîtresses en chemise, voilà cet illustre monde ; ils n’ont pris des façons françaises que le costume, et des sentimens nobles que les grands mots.

Le second point digne d’imitation dans la tragédie classique est le style. A la vérité Dryden épure et éclaircit le sien, introduisant le raisonnement serré et les mots exacts. Il y a chez lui des disputes oratoires comme dans Corneille, des répliques lancées coup sûr coup, symétriques, et comme un duel d’argumens. Il y a des maximes vigoureusement ramassées dans l’enceinte d’un vers unique, des distinctions, des développemens, et tout l’art des bonnes plaidoiries. Il y a d’heureuses antithèses, des épithètes d’ornement, de belles comparaisons travaillées, et tous les artifices de l’esprit littéraire. Et ce qu’il y a de plus frappant, c’est qu’il abandonne le vers dramatique et national, qui est sans rime, ainsi que le mélange de prose commun à tous les anciens poètes, pour rimer toute