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avoir vaincu mon cœur jusqu’à prier. » On le trouve bon père avec ses enfans, libéral envers son fermier, généreux même. « On a écrit, dit-il, plus de libelles contre moi que contre presque aucun homme vivant, et j’aurais eu le droit de défendre mon innocence ; j’ai rarement répondu aux pamphlets diffamatoires, ayant dans les mains les moyens de confondre mes ennemis, et, quoique naturellement vindicatif, j’ai souffert en silence et maintenu mon âme dans la paix.» Insulté par Collier comme corrupteur des mœurs, il souffrit cette réprimande brutale et confessa noblement les fautes de sa jeunesse. « M. Collier en beaucoup de points m’a blâmé justement : je ne cherche d’excuse pour aucune de mes pensées ou de mes expressions ; quand on peut les taxer équitablement d’impiété, d’immoralité ou de licence, je les rétracte. S’il est mon ennemi, qu’il triomphe ; s’il est mon ami, et je ne lui ai donné aucune occasion personnelle d’être autrement, il sera content de mon repentir. » Une telle pénitence relève ; pour s’abaisser ainsi, il faut être grand. Il l’était de l’esprit comme du cœur, muni de raisonnemens solides et de jugemens personnels, élevé au-dessus des petits procédés de rhétorique et des arrangemens de style, maître de son vers, serviteur de son idée, ayant cette abondance de pensées qui est la marque du vrai génie. « Elles arrivent sur moi si vite et si pressées que ma seule difficulté est de choisir ou de rejeter parmi elles. » C’est avec ces forces qu’il entra dans sa seconde carrière ; la constitution et le génie de l’Angleterre la lui ouvraient.

« Un homme, dit La Bruyère, né Français et chrétien, se trouve contraint dans la satire ; les grands sujets lui sont défendus ; il les entame quelquefois et se détourne ensuite sur de petites choses qu’il relève par la beauté de son génie et de son style. » Il n’en était point ainsi en Angleterre. Les grands sujets étaient livrés aux discussions violentes ; la politique et la religion, comme deux arènes, appelaient à l’audace et à la bataille tous les talens et toutes les passions. Le roi, d’abord populaire, avait relevé l’opposition par ses vices et par ses fautes, et pliait sous le mécontentement public comme sous l’intrigue des partis. On savait qu’il avait vendu les intérêts de l’Angleterre à la France ; on croyait qu’il voulait livrer les consciences des protestans aux papistes. Les mensonges d’Oates, l’assassinat du magistrat Godfrey, son cadavre promené solennellement dans les rues de Londres, avaient enflammé l’imagination et les préjugés du peuplé ; les juges intimidés ou aveugles envoyaient à l’échafaud les catholiques innocens, et la foule accueillait par des insultes et des malédictions leurs protestations d’innocence. On avait exclu le frère du roi de ses emplois, on voulait l’exclure de ses droits au trône. Les chaires, les théâtres, la presse, les hus-