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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/596

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leurs six enfans. La misère régnait dans cette cabane. L’oncle, ivrogne incorrigible, ne rentrait guère au logis que pour rosser sa femme. Celle-ci nourrissait péniblement son mari et ses enfans en exerçant l’état de blanchisseuse. Spuro était marin. Il restait ordinairement embarqué comme matelot sur des navires de commerce. De loin en loin il revenait pour quelques mois à Varna, et se faisait batelier. Il transportait les passagers dans la rade, flânait le reste du jour sur le port, couchait la nuit dans sa barque, et visitait rarement sa sœur et ses parens. Paraskévi, maîtresse de ses actions, refusait de travailler. Elle s’habillait des vieilles nippes que lui donnaient les femmes grecques, se nourrissait de quelques figues, se promenait toute la journée, traînant derrière elle la bande de ses petites cousines, et revenait dormir sous son toit patrimonial sans désirer une existence plus glorieuse. Elle allait cependant quelquefois visiter les dames européennes, et comme on l’a trouvait gentille, qu’elle avait beaucoup de présence d’esprit, et qu’elle savait tout ce qui se passait en ville, on la faisait dîner. Dans ces circonstances, elle mangeait de grand appétit, et se servait sans maladresse d’un couteau et d’une fourchette.

Paraskévi, le soir où nous la rencontrons, venait d’assister à la noce de Balko en spectatrice, à la porte de la maison. La vue des belles vestes de soie et des colliers d’or n’excitait que faiblement sa convoitise. Elle était modeste dans ses vœux : son indépendance lui suffisait. En ce moment d’ailleurs, elle était triste. Sa tante venait d’accoucher, et l’enfant était mort deux jours après sa naissance, sans avoir été baptisé. Il en résultait, d’après les croyances admises, que la pauvre petite créature était de droit musulmane, et que Mahomet, en la recevant, lui avait fait briser les coudes et les genoux. Une autre de ses cousines était malade. Paraskévi s’approcha de Mme Fortuni, et la pria de venir voir la petite fille.

Antonia se rendit le lendemain chez Paraskévi, portant quelques sucreries aux enfans et quelques piastres à leur mère. Le hasard amena en même temps Nourakof dans la maisonnette. Il cherchait Spuro, qu’il n’avait pas rencontré sur le port, et venait louer sa barque pour aller le lendemain à une fête donnée par le consul d’Autriche.

— Qu’est-ce que Spuro? demanda Antonia.

— C’est mon frère, dit Paraskévi.

— C’est mon batelier, répondit Nourakof, un fort gaillard dont j’ai depuis longtemps remarqué la mine intelligente, et que je choisis chaque fois que je vais en mer.

La fillette annonça que son frère allait venir à la maison, et comme Mme Fortuni ne paraissait pas avoir terminé sa visite, Nourakof lui