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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/626

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après Marengo, après Austerlitz, après Friedland. Toujours « il sortira quelque chose de dessous terre qui prolongera les convulsions, et l’on ne cessera de se massacrer jusqu’à ce que la maison de Bourbon soit à sa place. » Il semblerait que cette pensée dût être toute-puissante sur son esprit, car elle ne lui arrive pas seulement de sa prévoyance raisonnée, mais encore de ses préférences personnelles, de ses traditions de famille, de ses alliances de parti. Et néanmoins, quand il reporte son regard dans la sphère plus vaste de ce qu’il appelle les lois du monde, il admet aussi qu’il y a des familles « usées au pied de la lettre. » Si donc la maison de Bourbon est « usée et condamnée par un de ces jugemens de la Providence dont il est impossible de se rendre raison, il est bon, dit-il, qu’une nouvelle race commence une succession légitime. » Les fleurs de lis peuvent périr, « mais la suprématie de la France est éternelle autant que les choses humaines peuvent l’être. »

Certes, il fallait une rare liberté d’esprit pour écrire ces choses en ce temps, au milieu d’un tel entourage, et dans l’obscurité des événemens inaccomplis. Mais voyez quels pas il va faire encore, et comme il se laisse entraîner au mouvement qu’il reconnaît irrésistible! «Toute grande révolution, dit-il, agit toujours plus ou moins sur ceux mêmes qui lui résistent, et ne permet plus le rétablissement total des anciennes idées. Nous le voyons par la commotion religieuse du XVIe siècle, qui a opéré une révolution très sensible même chez les catholiques. » Et ailleurs : « Les fidèles même seront considérablement changés par la révolution, rien n’est plus certain. Tel qui désire le roi très sincèrement, et qui le lui aura écrit, sera très capable de dire, le lendemain de la révolution : Cette mesure est tyrannique, le roi n’a pas le droit de faire cela. » Voici donc enfin sa conclusion dernière; l’aveu lui répugne, mais il sera franc et complet; il va déclarer, non sans grandeur, tout ce qu’il voit dans l’avenir par ces trois articles, extraits de son mémoire de 1810 : « 1° S’il y a quelque chose de malheureusement évident, c’est l’immense base de la révolution actuelle, qui n’a d’autres bornes que le monde. — 2° Cette révolution ne peut point finir par un retour à l’ancien état de choses, qui paraît impossible, mais par une rectification de l’état où nous sommes tombés; tout comme la révolution immense causée par l’invasion des Barbares dans l’empire romain ne finit point par l’expulsion de ces Barbares, mais par leur civilisation et leur établissement définitif, qui créa l’état féodal de l’Europe. — 3° Mille et mille raisons historiques, politiques, morales, métaphysiques même, se réunissent pour faire croire que rien ne peut faire reculer la France, et que. Le repos ne peut être rendu au monde que par elle. » Donc il faut accepter ce qui est. Et ici qu’entend-il par ce qui est? Il le dit encore avec peine, mais il le dit :