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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/633

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narchie prophétique. Récemment encore, un savant moine ne voulait-il pas qu’on en mît davantage dans l’histoire de France, et qu’entre autres choses la politique de Charlemagne à l’égard de la papauté fût déclarée miraculeuse? De Maistre a pu tomber dans cet excès comme dans beaucoup d’autres, mais ici comme ailleurs ce n’est qu’un excès qui affecte peu l’ensemble de ses idées. En général il considère la Providence comme gouvernant par des lois qu’elle s’est une fois données, et la pensée qui réellement constitue le germe de sa doctrine politique est, comme on verra, celle-ci : que, dans la société comme dans la nature, il y a des raisons finales et une action divine régulière qui président à la croissance des institutions et à la formation de la souveraineté, que le devoir de l’homme public est de les contempler sans cesse pour y conformer ses déterminations libres, et que si, au lieu d’adapter librement ses desseins à cet ordre une fois décrété, qui se développe lentement dans la suite des temps, il prétend y substituer ses petites inventions politiques et usurper les fonctions de créateur et d’organisateur de l’humanité, les lois qu’il méconnaît n’en suivront pas moins leur cours et l’écraseront lui-même sous ses vaines constructions.

Il faut distinguer les institutions, qui sont les organes destinés à remplir les fonctions de l’état, à réaliser la vie commune, et qui se relient entre elles sous le nom de constitution, et la souveraineté, qui est le pouvoir éminent, central, partout présent, pour modérer, concilier, activer et décider en dernier ressort. Si la révolution française, qui est toujours, avons-nous dit, le texte qu’il commente et où il puise, a été mauvaise, elle l’a été, selon lui, par deux erreurs principales et radicales, qui se résument en une usurpation des prérogatives de la Providence, et qui, à ce titre, lui ont attiré la peine sanglante qu’elle a subie. Premièrement, quant aux institutions, elle en a fait table rase, et voulu créer à neuf une société sans racines, fondée sur des formules abstraites, sur un modèle imaginaire, répudier le passé comme un néant, et instituer l’avenir dans une forme absolue et par conséquent immobile. Deuxièmement, quant à la souveraineté, la révolution l’avait placée dans le peuple, attribuant la pensée directrice à l’ignorance grossière, l’initiative à la stérilité, la puissance à l’impuissance. Il prétend, lui, que les institutions sont des œuvres divines et vivantes organisées dans le genre humain, toujours formées d’élémens préexistans, c’est-à-dire historiques, que l’homme modifie, élimine et renouvelle, puisqu’elles changent, mais qu’il ne peut réformer dans leur fond, ni interrompre dans leur vie continue, ni arrêter dans l’immobilité d’une prétendue perfection. Et la souveraineté, elle, n’est point dans le nombre, mais dans l’unité, ni dans l’instinct aveugle, mais dans l’intelligence, ni dans les masses d’en bas, mais dans un pouvoir