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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/661

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ciers européens, isolés au milieu de leurs soldats brahmanes. Rien enfin n’avait été changé dans le régime habituel des provinces où couvait l’insurrection, ni dans la distribution des troupes destinées à la réprimer en cas de besoin. Nous avons loué lord Canning de son humanité, mais la prudence et la prévoyance lui firent complètement défaut, on doit le reconnaître, pendant les mois de mars et d’avril, et jusqu’aux premiers jours de mai 1857. Il faut ajouter ceci à sa décharge : la rébellion éclata là où elle semblait devoir être étouffée le plus promptement, là où la prudence la plus en éveil n’aurait rien trouvé à redouter.

Entre Agra et Delhi, à cent trente et un milles au nord-ouest de la première de ces deux villes, à quarante milles au nord-est de la seconde, est la station de Meerut, qui donne son nom à l’une des six grandes divisions territoriales connues sous le nom de provinces du nord-ouest[1]. Cette portion de l’empire indien est virtuellement sous la domination britannique depuis la fameuse guerre des Mahrattes, où quatre armées anglaises, lancées à la fois sur les territoires de cette ligue puissante, virent fondre devant elles une force militaire évaluée à 210,000 fantassins et 100,000 cavaliers. Ce fut l’affaire de cinq mois, au bout desquels, tandis que Wellesley poursuivait Sindyah vaincu jusque dans le domaine du Nizam, et gagnait la célèbre bataille d’Assye (23 septembre 1803), lord Lake, investi dans l’Hindostan proprement dit des mêmes pouvoirs que Wellesley exerçait dans le Dekkan, conduisit le troisième corps d’armée jusque sous les minarets de Delhi. Le souverain déposé par les conquérans mahrattes fut replacé sur le trône d’Aurang-Zeb, et tous les états mahométans de l’Inde payèrent de leur allégeance la restauration dérisoire et fictive de ce qu’on appelait jadis le Grand-Mogol.

Meerut, au mois de mai 1857, eut été choisi par tous les résidens anglais comme un des points les moins menacés de toute la péninsule. Deux régimens anglais (carabiniers et rifles), deux compagnies d’artillerie et une batterie de campagne européennes y tenaient garnison à côté de deux régimens d’infanterie et d’un régiment de cavalerie indigènes (le n° 3). Or il est admis et prouvé que partout où les Européens constituent, ce qui est i-are, un tiers de la force mixte, aucune chance de révolte heureuse n’existe pour les cipayes. Ici la proportion était bien plus favorable, et dès lors la sécurité

  1. Delhi, Meerut, Rohilcund, Agra, Allahabad, Benarès. Chacune est divisée en cinq zillahs ou districts, sauf Bénarès, qui en a six. Réunies, elles ne comptent pas moins de 81,908 townships ou divisions municipales. Leur population agglomérée est, d’après les derniers recensemens, de 23,724,121 Hindous et de 4,547,771 musulmans ; total, 30,271,885.