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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/664

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crer quelques Européens qu’ils rencontraient voyageant avec les dawks (courriers de la poste). Au moment où les premiers se montraient sur les bords de la Jumna, du côté où elle baigne le pied des murailles du palais impérial, quelques officiers anglais, chargés de la garde de l’arsenal, virent avec surprise ces colonnes armées qui se déployaient et traversaient par subdivisions le pont de bateaux jeté derrière la résidence des rois. A peine l’avaient-ils traversé, que les portes de cette espèce de ville[1] s’ouvraient pour eux, comme s’ils eussent été attendus. Peu de temps après, les sowars du 3e ainsi introduits dans la résidence impériale donnaient le signal de la révolte.

Les scènes qui se passèrent alors sont fidèlement décrites par un des négocians indiens de Delhi, auquel nous cédons momentanément la parole. Sorti de Delhi pour se rendre en chariot à quelque pèlerinage, il avait rencontré, à deux cents pas du pont de bateaux, un piquet de cavalerie qui, après interrogatoire, le contraignit de rentrer en ville.


« En arrivant au pont, poursuit-il, ces cavaliers pillèrent la caisse du péage. Derrière eux arrivait un régiment de cipayes qui traversèrent le pont, et, après avoir tué un Européen qui se trouvait là, pénétrèrent dans la cité. Nos cavaliers étaient restés de l’autre côté, lorsqu’arrivèrent des bateliers qui rompirent le pont; il leur fallut donc passer à gué, ce qu’ils firent, après quoi ils entrèrent en ville par la porte de Delhi[2], et galopèrent jusqu’à l’ungauree baugh (au-dessous du palais) pour mettre à mort le burra-sahib (le chef-maître, c’est-à-dire le commissaire en chef anglais). Le kotwal (préfet de police), entendant parler de ceci, envoya prévenir ce fonctionnaire, Simon Fraser, qui fit immédiatement transporter les archives dans la cité; puis, montant dans son boghey, où il avait un fusil à deux coups, et précédé de deux cavaliers d’ordonnance, il vint au-devant des révoltés. Les cavaliers le chargèrent. M. Fraser tira sur eux, et du premier coup cassa la tête du plus avancé. Sa seconde balle atteignit seulement un de leurs chevaux. Il descendit alors de voiture, et, entrant au palais par le Summun boorj, referma la porte derrière lui ; ensuite il alla vers la porte de Lahore, et donna ordre au subadar (capitaine) de service que cette porte fût fermée. Celui-ci obéit sans délai. Arrive ensuite un cavalier qui enjoint d’ouvrir. «Qui êtes-vous? demanda le subadar. — Nous sommes les cavaliers de Meerut, réplique l’autre. — Où sont vos camarades? reprend le subadar. — L’homme répond : — Dans l’ungauree baugh. » Le subadar dit alors qu’ils n’avaient qu’à venir tous ensemble, et qu’aussitôt il ouvrirait. Il ouvrit en effet dès qu’ils arrivèrent, et les cavaliers entrèrent dans le palais.

« M. Simon Fraser et le capitaine Douglas, commandant de la garde du palais, firent aussitôt venir le subadar. — Quelle trahison est ceci? lui

  1. Le palais impérial de Delhi ne logeait pas moins de 6 ou 7,000 personnes, de la famille ou de l’entourage du souverain. Il peut au besoin en loger 12,000.
  2. Cette porte est à la partie méridionale de la ville, et la plus rapprochée de la Jumna.