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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/699

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l’imagination du lecteur croit qu’elle va commencer sérieusement.

Acceptons cependant le roman tel que l’auteur l’a conçu. Nos réserves une fois faites, nous conviendrons que, si le romancier a voulu laisser l’imagination du lecteur sous une impression heureuse, il y a réussi. Chacune de ses pages est un sourire mouillé de larmes : l’arrivée de Maxime au château compose un tableau charmant; les portraits des habitans et des habitués du château forment une galerie intéressante et curieuse : la vieille Mme de Porhoët, la frileuse Mme Laroque, la fragile Mlle Hélouin, le volage M. de Bévallan, et ce couple de philistins femelles, Mme Aubiny et Mme de Saint-Gast, sont pour nos lecteurs de vieilles connaissances qu’il nous suffira de rappeler à leur souvenir. Ce ne sont là toutefois que des personnages plus ou moins épisodiques : à partir de l’arrivée de Maxime au château, tout l’intérêt se concentre sur Mme Marguerite Laroque, le caractère vraiment original du roman. Ce caractère est-il vrai? Grande question, très controversée, à l’heure où nous écrivons, par tous ceux qui ont vu la pièce du Vaudeville. A vrai dire, la question nous semble souvent assez mal posée entre les controversistes, qui cherchent généralement dans leur souvenir et leur expérience un moyen de la résoudre. Il importe assez peu qu’un tel caractère ait vécu ou n’ait pas vécu, ait été pris dans la vie réelle ou soit sorti de l’imagination de l’auteur. Pour savoir s’il est vrai, il suffit de se demander s’il est possible. Oui, il est possible, et par conséquent vrai. C’est une heureuse création que cette jeune fille devenue sèche et froide à force de sentiment vrai, méprisante à force d’amour, soupçonneuse à force d’aspirations vers la sincérité. Sa défiance est une déviation, une dépravation, si j’ose m’exprimer ainsi, de la dignité; mais elle est très explicable, quoique bizarre, et tous les cœurs un peu fiers ont certainement éprouvé quelques-uns des mouvemens ombrageux, un peu trop multipliés, il est vrai, que ressent le cœur de Mme Marguerite. Un trait chez elle nous a beaucoup touché : sa crainte d’être la dupe des sentimens affectés. Nous l’aimons pour son mépris de la fausse poésie, pour cette ironie cruelle avec laquelle elle persifle et calomnie les choses qu’elle aime le mieux plutôt que de les voir gauchement profanées à ses yeux par des mains hypocrites. Comme toutes les âmes qui ont des sentimens vrais et forts, elle se ferme et se protège par l’ironie contre la peste de l’égalité et les confidences saugrenues des âmes poétiques, mais vénales, qui pourraient l’approcher. C’est un des traits les plus marqués de la vraie fierté que cette sécheresse hautaine, et il a été fort bien saisi par M. Feuillet. Dès la première heure, Marguerite a fait sentir à Maxime que s’il avait par hasard une âme d’intendant, il pouvait exercer ses talens à flatter des sentimens d’institutrice.