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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/706

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à la guerre, devant un intérêt de cet ordre, toutes les considérations secondaires s’effacèrent à nos yeux, et le peu de crédit politique que la Revue possède en France et en Europe, elle le mit, sans hésiter, au service de l’action diplomatique du gouvernement français. Nous fûmes les premiers, dans la presse française, à exposer au public, qui ne les apercevait pas encore très distinctement, les causes de la guerre d’Orient et à définir les intérêts et les devoirs patriotiques qui commandaient à la nation d’affronter des périls qu’elle n’avait point provoqués. Le sentiment qui nous dirigeait alors ne s’est point éteint en nous. Quoique les circonstances ne soient plus les mêmes, et que l’honneur et la puissance de la France au dehors ne courent point les mêmes dangers, nous ne sommes pas devenus indifférens aux succès plus modestes ou aux échecs moins graves de la politique extérieure de notre pays. Nous sommes donc tout disposés à mesurer dans ses vraies proportions le résultat des négociations relatives aux principautés.

Nous sommes d’avis que parmi les différences qui existent, M. Saint-Marc Girardin l’a reconnu spontanément, entre l’attitude de la France en 1840 dans la question d’Egypte et son attitude en 1858 dans la question des principautés, il en est une dont notre collaborateur n’a point assez tenu compte peut-être. Cette différence est moins dans le fond des choses, si l’on veut, que dans la forme, et il est naturel que M. Saint-Marc Girardin, qui se préoccupe plutôt du fond, l’ait négligée; mais cette différence de forme a une importance réelle, une grande importance surtout, la justice nous fait un devoir de le reconnaître, pour les personnes qui ont représenté et conduit dans ces dernières transactions la diplomatie de la France. Voici, suivant nous, cette différence : en 1840, la France était placée vis-à-vis des autres puissances dans un état réel d’antagonisme. Sur le fond des choses sans doute, comme l’a remarqué M. Saint-Marc Girardin, nos adversaires avaient adopté en grande partie les conclusions de la France. En effet, si les alliés du 15 juillet avaient posé le principe de l’hérédité dans la famille de Méhémet-Ali, c’était à la France qu’ils l’avaient pris ; jamais d’elles-mêmes la Russie ni l’Angleterre n’eussent fait une pareille concession au vice-roi d’Egypte, et le vieux pacha demeura toujours convaincu que c’était à nous qu’il était redevable de ce qu’il avait obtenu de l’Europe. Cependant à la solution en partie émanée de nous et acceptée par les autres puissances nous opposions une solution plus large, et nous ne voulûmes point nous rallier au plan de nos adversaires, qui prévalut malgré nous. Notre opposition alla à toutes les extrémités, sauf la guerre ; les événemens ont prouvé depuis ces deux choses : à la France, qu’elle avait bien fait de ne pas faire la guerre; à l’Europe, que la solution française de la question égyptienne eût été préférable dans l’intérêt de l’Orient à la solution anglo-russe. En 1858, à propos des principautés, le débat était placé dans des termes tout différens. D’abord le règlement des principautés n’était pas le point de départ d’une lutte diplomatique ; il n’était que l’une des nombreuses conséquences que laissait après elle une question bien autrement vaste, la guerre des puissances occidentales contre la Russie, guerre entreprise pour défendre l’intégrité et l’indépendance de l’empire ottoman, et qui, terminée à notre avantage, nous permettait de soustraire les principautés roumaines au protectorat russe. La