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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/718

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autour des troncs lisses et droits dans la nef immense. » Si vous aimez mieux la pittoresque succession des accidens et des couleurs, prenez le chemin qui conduit à la Tuilerie. C’est un pauvre chemin creusé par les pluies dans une terre rougeâtre ; çà et là vous vous heurtez à de petits tas de cailloux roulés par les eaux et retenue par les racines rugueuses des arbustes qui font Hale. Après le chemin vient le plateau, sol nu et stérile, mais devant vous s’étendent les diverses teintes du vallon, dont le vert seul a d’innombrables variétés. Mille retraites nous sont ouvertes. Nous pouvons nous asseoir, soit sur l’herbe drue qui pousse au pied des chênes, soit sur la place satinée que font en tombant les aiguilles des arbres résineux. Ou bien, pendant que le soleil illumine encore les vertes cimes, avant que ses rayons ne soient devenus tout à fait obliques, tandis que les insectes élargissent leurs trachées pour boire les tièdes ondes de l’air qui les baigne et que les oiseaux chanteurs entonnent ces concerts qui s’adaptent si bien à toute situation de l’âme, allons jusqu’à la clairière, à cette place dégagée de broussailles où poussent sur les débris séculaires de leurs aînées les hautes herbes et les fleurs des bois. Là nous respirerons à l’aise; arrivés aux limites de l’infini, il nous sera permis de jeter dans l’insondable profondeur de l’éternelle harmonie des choses ce regard dont Moïse sur le mont Nébo enveloppa la terre de Chanaan ; nous y aurons une idée exacte du vrai, cette origine commune de ces trois formes inséparables, le beau, le bien et l’utile, — et, mieux que tout cela, nous y saisirons peut-être la perception pure et sans mélange de l’idéal humain, la liberté!

Telle est l’échelle de Jacob dressée sur la réalité par l’auteur des Horizons prochains; un pied touche la terre, l’autre le ciel, et, selon les dispositions du moment, nos pensées, soulevées par l’espérance ou alourdies par l’inquiétude, en montent ou en descendent les degrés. Je n’ai fait encore qu’exposer sous leur aspect le plus général les visions de cet esprit, où l’extase se replie en quelque sorte sur elle-même, puis se dédouble et fait de soi deux parts, l’une tout humaine, l’autre que je nommerai cosmologique, en retirant toutefois à ce terme ce qu’il a de scientifique et de positif. Il me reste à faire connaître comment, devant ce résultat final, l’idée s’engendre et se formule, de quels rapports elle est susceptible avec les sentimens voisins, quelles sont enfin ses habitudes, et, pour me servir d’une expression toute latine, ce qui la contente. Ce n’est pas du premier jet ni de la première plume que l’écrivain qui nous occupe donne à l’objet de ses contemplations une interprétation abstraite et philosophique; il poursuit bien ce but, mais il ne l’atteint que progressivement, par cela même qu’il est certain de l’atteindre. Il faut qu’il se familiarise d’abord avec ce qu’il doit traduire; aussi accepte-t-il, sans les tordre ni les détourner, les faits tels qu’ils se présentent à lui. Une fois pénétrés de sa pensée, les phénomènes les plus vulgaires acquièrent de nouvelles significations, les horizons prochains s’étendent et atteignent ces hautes atmosphères où la brise n’est pas seulement plus vive, mais où, selon l’heureuse expression de l’auteur, l’âme est plus élastique. Nous avons parlé plus haut du rôle de confident attribué au poète dans la conception de son œuvre, et nous l’avons, en l’élargissant, appliqué à l’esprit que nous analysons. C’est ici le lieu de nous édifier sur la véritable valeur