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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/740

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l’été venu, tous les riches oisifs de l’Inde, était sous le coup d’une vraie panique, et Loudhiana, plus au nord encore, n’était maintenue que par l’extrême sévérité du gouverneur anglais donné à cette cité turbulente. Le nom seul de ce terrible fonctionnaire, M. Ricketts, était un préservatif contre l’esprit de révolte, et l’on a su depuis que, tremblans sous le sceptre de fer dont il les frappait sans hésiter, les Hindous placés sous son, autorité demandaient naïvement au roi de Delhi de les en débarrasser d’abord. « Ensuite, ajoutaient les pétitionnaires, le soulèvement ira tout seul. » Cependant John Lawrence et Montgomery, redoublant d’efforts, non-seulement maintenaient la paix autour d’eux, mais encore suppléaient à l’inertie forcée du commandant militaire supérieur. Ils dégarnissaient sans hésiter des districts entiers pour envoyer à Umballa tout ce qu’ils avaient de meilleur et de plus sûr en fait de troupes sikhes. Le fameux corps des guides était déjà parti pour Delhi, où il arriva dès les premiers jours du siège, après une marche, inouïe sous le ciel de l’Inde, de trente milles par jour en moyenne. D’autres bataillons prenaient la même direction. Une colonne mobile s’organisait à Jhelum. La forteresse de Kangra, située dans les montagnes, était enlevée sans coup férir par un officier intelligent aux cipayes qui la gardaient. On isolait, on envoyait au loin, dans des pays déserts, les régimens les plus suspects. Tout se faisait à la fois, rapidement, sans confusion, avec une impassibilité sereine et gaie, qui se traduisait au besoin par des jeux de mots lancés dans les circonstances les plus critiques[1].

La situation était déjà quelque peu améliorée, quand le commissaire en chef, le 1er juin, prend la parole et s’adresse aux cipayes par une proclamation formelle. Son langage est bref, clair, catégorique. On peut le résumer ainsi : « Cipayes! quelques-uns des vôtres se sont révoltés! ils sont déjà punis. Soyez « fidèles à votre sel, » à ce gouvernement que vos ancêtres et vous servez depuis cent ans, et qui vous traite mieux qu’aucune armée n’est traitée en aucun pays. On récompensera les soldats fidèles, on chassera les suspects, on punira les mutins. Ne vous croyez pas indispensables; dans le seul Pendjab, le gouvernement anglais trouverait demain cinquante mille soldats pour remplacer les pourbiahs éloignés du drapeau. Il n’est que temps de songer à ceci. Demain, l’occasion perdue ne se retrouverait plus. Déjà, de tous côtés, l’Angleterre verse à flots ses

  1. Comme dans cette réponse télégraphique de sir John Lawrence au général Anson, qui, voulant se fortifier dans son camp d’Umballa, lui demandait conseil : « dans le doute, lui répond le commissaire en chef du Pendjab, lequel était justement assis à une table de whist, dans le doute, faites la levée. Ce sont les bâtons (clubs, les trèfles) et non pas les bêches (spades, piques) qui sont les atouts. » En d’autres termes : «Levez le coup ! Ce sont des batailles qu’il faut, non des travaux d’art. »