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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/744

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populations hostiles. Il avait imposé à celles-ci le respect du nom anglais et une confiance absolue dans la supériorité de sa force. Enfin, par le recrutement qu’il pratiquait largement dans ces peuplades sauvages, et par le soin qu’il prenait de mettre immédiatement les nouvelles recrues en hostilité avec les soldats venus de l’Hindostan, soldats qu’il leur faisait désarmer et dont il leur donnait les dépouilles, il rendait impossible toute coalition des Afghans et des brahmines.

Quant à Dost-Mohammed, il avait adopté dès le début, il a suivi jusqu’au bout la politique dont Runjet-Singh s’était si bien trouvé. Chargé d’une mission politique relative au Candahar, il recevait de la compagnie, à titre de subside temporaire, un lack de roupies par mois (3 millions de francs par an). Sa mission terminée, on se garda bien de supprimer le subside. Il était donc resté le pensionnaire du gouvernement anglo-indien, et toutes les incitations de sa famille, toute l’influence de son frère aîné (sultan Mohammed) ne purent le décider à échanger des avantages si palpables contre les chances fort incertaines d’une participation à la révolte. Il préférait le bénéfice sonnant de l’alliance anglaise à l’espoir chimérique de u posséder la vallée de Peshawur. »

Si les habitans de Sivat, de Peshawur, du Caboul se sont montrés si rebelles aux incitations parties de l’Hindostan, il faut bien admettre que le joug britannique leur était relativement léger. Et c’est ce que nous explique M. Cooper dans un passage bon à reproduire :


« Les taxes imposées à la vallée, nous dit-il, sont plus légères qu’elles ne l’ont jamais été. Les Douranies (l’ancienne dynastie) foulaient le peuple comme on moud le grain ; c’est ce qu’ils font encore dans la portion du Caboul qui leur est restée soumise. Ils tiraient chaque année de Peshawur par voie d’impôt au moins douze lacks (3 millions de francs), et autant à l’aide d’exactions ou de pillage. Le gouvernement anglais se contente de six lacks par an, et il en dépense autant chaque mois. Aussi jamais n’avait-on vu pareille prospérité dans le pays; la propriété territoriale y est enviée. Sous les dynasties sikhe et douranie, on craignait d’être propriétaire, on désavouait ce titre onéreux; maintenant on se dispute le moindre lopin ; on va rechercher, on invoque des contrats vieux de cinquante ans. Du Caboul, du Bockhara, descendent des réclamans qui tentent de reconquérir dans la riche vallée les domaines dont ils s’étaient éloignés. Le grand nombre des troupes, les fortes dépenses de l’occupation assurent un large débouché aux produits du sol, aux céréales de la plaine, aux bois, aux fruits des montagnes. Cela est si vrai que, pour punir une tribu factieuse, le meilleur moyen est de lui fermer le marché de Peshawur et des cantonnemens militaires. C’est ce qu’on appelle la u bloquer[1]. »

  1. Tout marchand de la tribu bloquée que l’on vient à surprendre en état de rupture de ban, — c’est-à-dire trafiquant dans la vallée de Peshawur, — est immédiatement jeté en prison, et celui qui l’a dénoncé reçoit une prime de 10 roupies (25 fr.).