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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/766

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quelques batteries. Ensuite un de ces mécréans, à une de ces batteries, lui tira un coup de mousquet. La balle entra du côté droit, sous l’aisselle, et sortit sous l’aisselle gauche. Le général voulut alors qu’on l’étendît à l’ombre, et dit : « Je resterai ici jusqu’à ce que Delhi soit pris. » Il demanda ensuite un peu d’eau fraîche. À ce moment, je commandai qu’on amenât un doolie (chariot) de la ville, et, sous la conduite de Latif-Khan, je dirigeai le général vers le grand hôpital du camp, où le docteur *** lui donna quelques médecines qui le soulagèrent un peu. Alors il m’enjoignit de le faire transporter dans la tente du major Daly… Le lendemain, le sahib (seigneur, maître) me dit de porter son salaam au capitaine Lake et de lui demander si les rebelles tenaient encore dans Kissengunge et dans Taliwarah, ou bien s’ils avaient été défaits. Le capitaine monta aussitôt à cheval et vint trouver le général. Celui-ci, considérablement affaibli, et à cause des souffrances qu’il ressentait dans l’abdomen, écrivit sur un papier, qu’il donna au capitaine, quelques mots sur Taliwarah et Kissengunge. Le capitaine lui répondit verbalement, et ensuite, remontant à cheval, alla donner quelques ordres concernant ces deux faubourgs. Le troisième jour, le général Nicholson envoya chercher le brigadier-général Chamberlain, et lui parla en anglais touchant Kissengunge et Selimghur. Chamberlain partit ensuite pour la ville, donna quelques ordres touchant Selimghur, et fit ouvrir le feu des canons. Le quatrième jour, par ordre du docteur, le général fut transporté dans une maison vide, proche du camp. Le 20 septembre, la victoire de Delhi fut complète. Les visages-des rebelles furent noircis, et ils prirent la fuite. J’allai vers le sahib, et je lui parlai de la victoire. Il ressentit une grande joie, et me dit : « Mon désir était que Delhi fût pris avant ma mort, et il l’a été. » Le 24 septembre, le sahib (à visage de rossignol) se déroba de ce monde éphémère. »


Effectivement, comme le laisse pressentir cet extrait de journal afghan, les Anglais, dans les journées du 14 et du 15, n’avaient pu que s’établir en dedans des remparts, et pour ainsi dire au bord de Delhi. L’attaque dirigée sur les faubourgs extérieurs (ceux qui préoccupaient si fort Nicholson) avait été repoussée, non sans des pertes sensibles. Le 16, la lettre du général Wilson annonçait l’abandon de Kissengunge et de Taliwarah, évacués sans nouvelle attaque par les rebelles; mais il parle encore de leur résistance obstinée dans la ville même de Delhi[1], et il accuse des pertes notables résultant de

  1. Une circonstance particulière explique l’espèce d’inaction relative où resta l’armée assiégeante pendant la journée du 15. On trouva réunies, à dessein, dit-on, dans les maisons occupées les premières, des quantités notables de bière, de vin et d’eau-de-vie. Épuisés de fatigue et dévorés par la soif, les assiégeans se précipitèrent sur ces boissons perfides, et il y eut un moment où leur intempérance, mieux mise à profit, eût pu compromettre la victoire obtenue. Le général Wilson dut ordonner la destruction de tout ce qui se trouvait dans les godowns ou entrepôts souterrains des marchands hindous. On répandit ainsi en pure perte des quantités énormes de liqueurs qui, en toute autre circonstance, auraient été achetées à grand prix et précieusement emmagasinées.