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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/775

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les cheveux et les fourrures, prennent une apparence laineuse, tant le mode d’exécution est irrésolu, tourmenté, embrouillé, pour ainsi dire ; de là aussi dans les corps inflexibles, dans les colonnes et le mur qui servent de fond à la scène, quelque chose de flottant et de mou dont l’esprit et les yeux ne peuvent s’accommoder. Enfin, — défaut plus grave encore, — tous les tons sombres ont une intensité à peu près égale, quels que soient les plans et le milieu où ils sont placés. La draperie en velours noir du vieillard qui soutient Jane Grey a la même valeur, ou peu s’en faut, que les vêtemens et la coiffure des deux femmes rejetées au second plan, et cette draperie semble d’autant plus obscure qu’elle avoisine la robe de satin blanc dont nous accusions tout à l’heure l’éclat exceptionnel. Dira-t-on qu’il faut imputer ce manque d’harmonie au modèle, et qu’on ne saurait sans injustice rendre le graveur responsable des erreurs commises par le peintre ? L’excuse serait insuffisante. Il appartient jusqu’à un certain point au burin de réparer les torts du pinceau, puisqu’une estampe doit reproduire l’œuvre originale sous forme d’interprétation, et non sous forme de copie littérale. En second lieu, le tableau de M. Delaroche n’autorisait ni ces contradictions dans l’effet, ni ces indécisions dans le style. Nous ne voulons nullement exagérer le mérite d’une toile où l’ampleur du sentiment fait défaut, mais qui se recommande par la prudence des intentions et la correction avec laquelle ces intentions sont exprimées. La Jane Grey n’a pas, si l’on veut, toute la portée d’un tableau d’histoire, en ce sens que l’auteur y a laissé une part un peu large aux faits secondaires, aux combinaisons plutôt ingénieuses que hautement inspirées. C’est au moins un remarquable tableau de genre historique : sous le burin du graveur, la scène peinte par M. Delaroche n’a plus que la signification d’une anecdote et le caractère d’une vignette.

Si l’on veut apprécier par un exemple contraire les vices de la méthode que M. Mercurj a choisie pour traduire une œuvre de M. Delaroche, il suffira de rapprocher de cette planche à l’aspect tacheté, aux formes amollies faute de mesure dans la recherche et dans l’expression des détails, le Moïse exposé sur le Nil que M. Henriquel-Dupont a gravé récemment d’après le même peintre. Ici point de prétention excessive à la délicatesse, point de ces enchevêtremens de tailles d’un tissu si serré qu’ils donnent à peu près aux travaux du burin l’apparence opaque de l’aqua-tinte ; nulle trace enfin de cette habileté, plus raffinée que de raison, dont nous venons de signaler les dangers. Si le mot pouvait être de mise à propos d’une œuvre d’art et par conséquent d’un travail profondément raisonné, on dirait volontiers que dans le Moïse l’habileté a les dehors de la bonhomie. La limpidité de l’effet, l’élégance de la pratique, la grâce