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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/778

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leçons. Qu’il ose donc agir ouvertement en maître, qu’il demande conseil de moins près aux goûts un peu superficiels de son temps, pour interroger en toute confiance ses propres instincts et la belle tradition française, qu’il est mieux que personne en mesure de continuer. Dans cette charmante interprétation du Moïse de M. Delaroche, M. Henriquel-Dupont se montre, comme toujours, correct et disert : dans le grand et difficile travail qu’il a entrepris, depuis quelques années, d’après le Mariage de sainte Catherine du Corrège, il peut s’élever jusqu’à l’éloquence. Le thème y prête assurément, et ce thème, le traducteur est en fonds pour le développer à souhait.

Tandis que M. Henriquel-Dupont consacre son talent à la reproduction achevée, nous l’espérons, d’un des chefs-d’œuvre du Corrège, un autre graveur très habile, mais d’une habileté un peu dépourvue de force et de patience, M. Blanchard, nous donne, d’après le même maître, une planche adroitement incomplète dans laquelle l’ample grâce, les hautes qualités de l’original sont plutôt indiquées que profondément ressenties. Sans doute il faut faire la part de certaines difficultés à peu près insurmontables que présente la gravure d’un tableau tel que l’Antiope. Comment le burin, qui ne procède que par tailles, c’est-à-dire par des traits forcément arrêtés, de quelque façon qu’on les dispose, réussira-t-il à simuler l’effet de cette peinture où les contours sont en quelque sorte absens et les formes intérieures modelées avec une plénitude qui, le plus souvent, défie même l’imitation par le pinceau ? En outre, où trouver des ressources pour rendre ce merveilleux coloris, cette atmosphère d’or qui enveloppe les figures et le paysage ? On conçoit qu’en face de pareils obstacles un graveur se sente bien dépourvu, qu’il désespère même d’arriver à les vaincre tous. Est-ce une raison toutefois pour prendre aisément son parti de cette impuissance et pour discontinuer avant l’heure les expériences et les efforts ? M. Blanchard nous semble s’être résigné un peu vite. Si l’on rapproche l’estampe qu’il a publiée des planches gravées précédemment d’après le même modèle, nul doute qu’elle ne paraisse très préférable à celles-ci. Les reproductions de l’Antiope, si malencontreusement chargées de ton, si lourdement dessinées, qui ont paru depuis le commencement du siècle, et qu’ont signées Godefroy, Quéverdo et Massard, ne sont, à vrai dire, que les parodies du chef-d’œuvre dont M. Blanchard nous donne au moins une contrefaçon agréable, à défaut d’une imitation accomplie ; mais si l’on considère, en dehors de cette perfection relative, le mérite intrinsèque du travail, on sera forcé d’en accuser l’insuffisance, et de reprocher à l’artiste non-seulement de n’avoir pas pleinement réussi, mais même de n’avoir pas tout tenté jus-