Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/862

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trées vraiment lointaines, qui ont conservé leurs antiques croyances, leurs religions terribles, étranges, toutes pleines de merveilleux...

— Que l’Inde soit la région des merveilles, je le crois volontiers, dit le touriste. Quant au Thibet, j’en ai peu entendu parler ; mais la Chine est un pays où règne le positivisme le plus absolu, si je ne me trompe, et voltaire a rendu lui-même hommage à la saine raison de son législateur, quand il a dit de Confucius :

Il ne parla qu’en sage et jamais en prophète.
Cependant on le crut, et même en son pays !

— M. de Voltaire a parlé de beaucoup de choses qu’il ne savait guère, répondit l’Allemand. D’ailleurs, il y a dans le Céleste-Empire plus d’une croyance, et nulle part on ne raconte plus d’histoires extraordinaires, nulle part il n’a été écrit plus de légendes fantastiques, depuis le recueil intitulé Histoires à réveiller le monde jusqu’aux fables inventées par ceux qui recherchent l’élixir de longue vie. Sans sortir de notre sujet, je sais une histoire qui se rapporte précisément à la tentative qui vient d’être faite au moyen du crayon fixé à la corbeille. Elle n’est pas longue ; la voici en substance.

Il y a six mois, je me trouvais à Shanghaï. Désirant connaître par moi-même jusqu’à quel point le dialecte des provinces méridionales de la Chine diffère de celui des districts du nord, je m’aventurai à une petite distance de la côte, dans la direction d’un gros village habité par des cultivateurs. Comme j’arrivais sur la place du marché, j’aperçus un bonze en robe jaune, à la figure béate, qui traversait la foule à pas comptés. Il tirait de sa longue manche de petits livres finement imprimés que les plus riches habitans du village lui achetaient avec empressement. Quand le bonze passa près de moi, je m’avançai pour faire emplette à mon tour de cette brochure, dont j’étais curieux de lire le contenu. Il va sans dire que j’étais déguisé en Chinois ; de plus, je cachais la couleur bleue de mes yeux derrière une paire de ces grosses lunettes rondes assez semblables à celles qui chevauchent sur le nez recourbé de Polichinelle. Le bonze, ne se doutant. guère qu’il eût affaire à un barbare, n’hésita pas à me vendre son petit livre. Quand je fus sorti du village, j’allai m’asseoir à l’ombre, en un lieu écarté, et je reconnus que j’avais entre les mains un de ces petits traités religieux composés par les bonzes pour l’édification des fidèles. Les ouvrages de ce genre se composent presque toujours d’histoires, de récits fort simples, rehaussés de quelques détails merveilleux.

Comme les Chinois sont des gens précis et méthodiques, leurs contes les plus invraisemblables commencent invariablement par ces mots : « En telle année, dans le district de..., dépendant de