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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/918

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munitions, et le fort, armé de toutes pièces, reçut une garnison capable de le défendre contre un débarquement. On croyait avoir rempli toutes les conditions d’un établissement définitif, lorsque éclata le 12 février 1808, avec une fureur dont les plus vieux marins ne se rappelaient pas d’exemple, une tempête du nord-ouest. La mer, grossie par le concours de toutes les circonstances de lunaison, de vent et de pression atmosphérique qui peuvent l’affecter, passa sur la plate-forme, qu’on croyait au-dessus de ses atteintes; casernes, magasins, artillerie, tout fut balayé; le terre-plein en maçonnerie fut lui-même renversé, et cet amas de débris forme sous le revers méridional de la digue un dépôt qui découvre à mi-marée. Toute une compagnie d’artillerie, une section d’infanterie et les ouvriers présens furent jetés à la mer et noyés; il n’échappa à ce désastre que deux ou trois soldats renfermés dans la prison, qui, plus solidement construite, résista. Les citernes et les latrines établies dans un massif de béton se maintinrent aussi, et cette circonstance n’est peut-être pas étrangère à la conception à laquelle a été due plus tard la parfaite consolidation de la digue. Le 27 septembre suivant, un autre ouragan d’équinoxe vint renverser les travaux déjà faits pour réparer les désastres du mois de février, et rejeta sur le revers intérieur de la digue les blocs de rocher avec lesquels on avait cru en consolider le talus extérieur. Le 2 novembre 1810, une horrible tempête du nord-est emporta 60 mètres courans de l’épaulement de la batterie, et creusa dans le terre-plein des sillons de près d’un mètre et demi de profondeur. Enfin, dans la nuit du 11 au 12 du même mois, une autre tempête acheva de détruire ce qu’avaient épargné la précédente et celle de 1808.

Les ingénieurs qui soutenaient cette lutte acharnée étaient, M. Cachin à leur tête, les seuls qui ne fussent pas découragés. A chacune de leurs défaites, ils imaginaient des moyens de consolidation dont la mer démontrait l’insuffisance. Le renversement opéré en 1810 leur fut une sévère leçon; ils surent en profiter et faire sortir de l’excès du mal un remède héroïque, qui n’avait d’autre défaut que d’exiger l’immobilisation d’un capital considérable. Ce fut dans ces circonstances que Napoléon vint au secours de l’établissement de Cherbourg, comme avait fait Louis XVI vingt-cinq ans auparavant. En 1811 comme en 1786, il fallait imposer silence aux mauvais prophètes qui prédisaient la défaillance des destinées de l’établissement de Cherbourg et ranimer la confiance ébranlée. Napoléon avait quelque chose de plus à faire, c’était de lever par sa toute-puissance les obstacles qui s’opposaient à la marche de l’entreprise.

Peut-être me pardonnera-t-on de faire ici une digression pour dire comment se passaient ces visites du souverain dans les pro-