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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/945

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je le demande à M. Michelet, quelles consolations et quels conseils son livre peut-il donner aux très nombreux parias que leur pauvreté, leur condition ou les fatalités du métier excluent de l’Éden où il s’est plu à placer ses heureux époux? Je ne sais si ce livre leur fera envier le bonheur du mariage, mais à coup sûr il les fera remercier Dieu de ne pas avoir tenté cette grande aventure. Chaque jour, s’ils sont bien avisés, ils prieront le ciel de les faire persister dans leur vie de célibataire, très coûteuse et très fatigante, j’en conviens avec M. Michelet, mais dont toutes les sottises sont réparables et dont toutes les infortunes sont légères. Il est donc à craindre que M. Michelet n’atteigne pas tout à fait le but qu’il s’était proposé, et je doute que son livre fasse multiplier les mariages.

Oui, ce livre va contre le but qu’il poursuit; je ne connais pas de lecture capable de laisser une aussi forte impression de découragement, et je proclame un grand étourdi le jeune homme dont la confiance en lui-même n’en serait pas ébranlée. Si je n’avais pas peur de blesser M. Michelet, ce que je ne voudrais faire à aucun prix, je lui dirais que son livre est beaucoup trop jésuitique et pas assez janséniste. Il y est beaucoup question de physiologie et de casuistique galante, mais de morale peu ou point. Nulle part les grandes lois morales sur lesquelles le mariage est assis n’y apparaissent. L’absence de ces lois fait d’autant mieux ressortir l’insécurité du mariage, fondé sur la tendresse charnelle et les simples lois de nature. Ainsi donc, se dira le jeune lecteur habitué à réfléchir, voilà le seul appui sur lequel je puisse compter, un fragile cœur de femme, soumis aux caprices de la santé, à la violence du flot sanguin, aux désordres des émotions incessamment renouvelées ! Quel roseau flexible, quelle tige de fleur, quelle herbe courbée par le vent ne vaut pas un tel appui? C’est de sa tendresse seule que je dois tout attendre, et par conséquent c’est à sa tendresse seule que je dois en toute occasion m’adresser. Quoi! il me faudra me faire femme moi-même, dépouiller cette inflexible loyauté, orgueil de l’homme, cette loyauté qui n’est pas obscure et tortueuse comme le cœur, mais qui est lumineuse comme le soleil et sincère comme la conscience, pour descendre à de petits manèges, aimables peut-être, mais honteux à coup sûr, de femme pateline et de prêtre intrigant! Ma seule ressource sera de multiplier les ruses, les gracieuses flatteries, de pratiquer un tendre espionnage, d’épier comme un laquais curieux les mouvemens de son cœur, de la bercer de douces puérilités comme une nourrice aux complaisances insensées, après avoir sollicité auprès d’elle l’emploi de femme de chambre jalouse! Et toutes ces aimantes bassesses, à quoi me mèneront-elles? A un résultat négatif, car enfin, si je ne dois compter que sur l’amour de