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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/965

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tions peu sérieux, qui prennent des lazzis de bouffon pour des jugemens, m’accusent de ne point aimer autant qu’il le faut les platitudes qui se débitent sous leur patronage. Je n’ai rien à répondre à des critiques de cette portée, qui font leurs délices des chefs-d’œuvre de M. Adolphe Adam ou de M. Offenbach, et qui n’ont que des injures pour des hommes tels que Meyerbeer. Ils font leur métier. Il me serait facile cependant de revenir sur une question que j’ai bien souvent traitée ici, et de prouver une fois de plus aux lecteurs de la Revue que ma chapelle n’est pas si petite qu’on veut bien le dire, et qu’elle contient toutes les images qui sont dignes d’être adorées.

Grimm, dont l’esprit valait mieux que le caractère, a dit excellemment de ces admirations faciles qui, de son temps déjà, étaient le signe d’une grande altération du goût public : « Quand on est en état de sentir la beauté et d’en saisir le caractère, franchement on ne se contente plus de la médiocrité, et ce qui est mauvais fait souffrir et vous tourmente à proportion que vous êtes enchanté du beau. Il est donc faux de dire qu’il ne faut point avoir de goût exclusif, si l’on entend par là qu’il faut supporter dans les ouvrages de l’art la médiocrité, et même tirer parti du mauvais. Les gens qui sont d’une si bonne composition n’ont jamais eu le bonheur de sentir l’enthousiasme qu’inspirent les chefs-d’œuvre des grands génies, et ce n’est pas pour eux qu’Homère, Sophocle, Raphaël et Pergolèse ont travaillé. Si jamais cette indulgence pour les poètes, les peintres, les musiciens, devient générale dans le public, c’est une marque que le goût est absolument perdu... Les gens qui admirent si aisément les mauvaises choses ne sont pas en état de sentir les belles. » Jamais certes ces paroles, échappées à Grimm au milieu du XVIIIe siècle, n’ont été plus vraies que de nos jours. Où est l’homme de courage, aux doctrines solidement assises, qui sache résister à l’entraînement des succès factices, et qui, à ses risques et périls, ose appliquer à des œuvres médiocres, qui excitent les transports de la foule, une parole sévère déduite de principes immuables? Ne voyons-nous pas au contraire de rares esprits, parvenus à la maturité du talent et à tous les honneurs auxquels ils ont droit de prétendre, faire de lâches concessions à cette jeunesse abâtardie qui s’élève autour de nous, et qui déjà produit une littérature digne de ses mœurs et de l’idéal où elle aspire? Courtisans de la puissance et du succès, ces sophistes ingénieux, qui ont tout analysé, ont perdu dans cette anatomie microscopique des infiniment petits le sens de la vraie beauté et le courage de la défendre, quand ils l’aperçoivent dans des œuvres modestes qui ne leur sont pas recommandées par la faveur du public ou du pouvoir. Ce n’est pas l’esprit qui fait défaut de notre temps, c’est le courage moral, c’est cette intrépidité de la conscience qui affirme quand même le beau et le juste qui passent devant elle, et dont elle réfléchit les images. Or il n’y a pas plus de critique sans un amour ardent et exclusif pour les belles choses qu’il n’y a de justice avec les âmes molles et timorées qui reculent devant l’application du droit rigoureux. Sans doute il est plus aisé de bien juger les actes qui sont du ressort de la loi morale que de classer et d’apprécier avec équité les œuvres de l’intelligence qui s’adressent au goût. En musique surtout, rien n’est plus rare qu’un bon jugement porté sur les compositions contemporaines. Nous avons l’air de soutenir un paradoxe en disant que l’art mu-