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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 23.djvu/193

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La nature sans fond, sous ses millions d’yeux,
A travers les rochers, les rameaux, l’onde et l’herbe,
Couvait, avec amour pour le couple superbe,
Avec plus de respect pour l’homme, être complet,
Eve qui regardait, Adam qui contemplait.

Mais, ce jour-là, ces yeux innombrables qu’entr’ouvre
L’infini sous les plis du voile qui le couvre.
S’attachaient sur l’épouse et non pas sur l’époux.
Comme si, dans ce jour religieux et doux,
Béni parmi les jours et parmi les aurores.
Aux nids ailés perdus sous les branches sonores.
Au nuage, aux ruisseaux, aux frissonnans essaims,
Aux bêtes, aux cailloux, à tous ces êtres saints
Que de mots ténébreux la terre aujourd’hui nomme,
La femme eut apparu plus auguste que l’homme!

VI.


Pourquoi ce choix? pourquoi cet attendrissement
Immense du profond et divin firmament?
Pourquoi tout l’univers penché sur une tête?
Pourquoi l’aube donnant à la femme une fête?
Pourquoi ces chants? pourquoi ces palpitations
Des flots dans plus de joie et dans plus de rayons?
Pourquoi partout l’ivresse et la hâte d’éclore,
Et les antres heureux de s’ouvrir à l’aurore.
Et plus d’encens sur terre et plus de flamme aux cieux?

Le beau couple innocent songeait silencieux.

VII.


Cependant la tendresse inexprimable et douce
De l’astre, du vallon, du lac, du brin de mousse.
Tressaillait plus profonde à chaque instant autour
D’Eve, que saluait du haut des cieux le jour;
Le regard qui sortait des choses et des êtres.
Des flots bénis, des bois sacrés, des arbres prêtres.
Se fixait, plus pensif de moment en moment,
Sur cette femme au front vénérable et charmant;
Un long rayon d’amour lui venait des abîmes.
De l’ombre, de l’azur, des profondeurs, des cimes,
De la fleur, de l’oiseau chantant, du roc muet.
Et, pâle, Eve sentit que son flanc remuait.