Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 23.djvu/493

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de faire de larges distributions de café parmi tout le personnel de leurs usines, afin de mieux assurer la santé et la force de leurs ouvriers. Cet usage hygiénique s’est introduit en Europe, et parmi les propriétaires des colonies qui ont contribué à le propager dans notre pays, nous pouvons citer l’aïeul du général Morin, propriétaire à Saint-Domingue : chaque fois qu’il revenait en France, il avait coutume de poser pour première condition du régime à suivre dans sa maison qu’avant toute chose on y ferait couler constamment une rivière de café.

Bien des préjugés malheureusement, bien des obstacles de diverse nature, s’opposent encore chez nous au développement de la consommation du café. À l’époque du système continental, les produits exotiques, ainsi qu’un grand nombre de marchandises étrangères, avaient tout à coup subi une hausse considérable en France. Alors la consommation du sucre et du café, devenus des alimens de luxe, fut considérablement restreinte ; alors aussi de toutes parts surgirent des inventions qui prétendaient substituer aux deux substances exotiques des produits tirés de notre sol. Si l’on a pu remplacer ainsi certains produits des industries coloniales, il était impossible de résoudre le problème à l’égard du café. Il fallut donc tourner la question, et après avoir essayé de soumettre à la torréfaction toutes les matières végétales qui tombaient sous la main, l’on offrit au public diverses préparations n’ayant en réalité que les apparences, surtout la couleur du café, mais totalement dépourvues de ce délicieux parfum qui distingue le produit exotique. Au premier rang de ces préparations indigènes s’est placée, on le sait, la racine torréfiée de la chicorée sauvage, plante qu’il était facile de rencontrer, car elle croît spontanément et se développe en abondance le long des routes et dans tous les champs de l’Europe. Les racines de chicorée, obtenues bientôt après dans la grande culture, et abondamment, à force d’engrais, donnèrent lieu à la création d’usines importantes qui existent encore. Là, ces racines, séparées des feuilles, sont dépouillées de l’épidémie et des matières terreuses adhérentes, puis soumises au séchage, à la’ torréfaction, broyées dans des moulins spéciaux, enfin réduites en poudre fine ou grenue.

Depuis le commencement de notre siècle, on a vu les consommateurs, peu à peu habitués à l’usage de la chicorée, devenir la plupart trop exigeans relativement à l’intensité de la couleur de l’infusion, et dès lors enclins non-seulement à pousser trop loin la torréfaction du véritable café, mais encore à suivre une méthode vicieuse en faisant bouillir le mélange avec l’eau au point de volatiliser une grande partie de l’arôme. Ces détériorations furent portées plus loin encore par l’addition d’un quart ou de moitié de