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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 23.djvu/946

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JEAN DE LA ROCHE


Le nom de La Roche est très répandu dans toutes les provinces de France, et, en le donnant au personnage dont je vais raconter les aventures, j’avertis d’avance les lecteurs naïfs qu’il ne faut les attribuer à aucun des habitans de la localité où je place la scène et que je compte fidèlement décrire.

Cette précaution oratoire semblera puérile aux personnes de bon sens qui savent qu’un roman est toujours enveloppé d’une fiction, sous peine de n’être plus un roman. Elle est pourtant nécessaire, cette précaution, envers bon nombre de provinciaux, lecteurs trop excellens, qui prennent tout au sérieux, et qui n’admettent pas l’invention dans les ouvrages d’art. Avec ceux-là, il faut s’attendre à d’étranges méprises. On ne saurait décrire leur clocher, même sous un nom fictif, ou tomber, à son propre insu et par hasard, sur le nom de leur clocher en décrivant un clocher quelconque, sans mettre en émoi une notable portion des paroissiens.

Ceci est arrivé dernièrement à un auteur de ma connaissance pour avoir placé la scène d’un de ses romans dans un jardin de café attenant à un théâtre, lequel attenait à un couvent. Cette disposition locale et deux ou trois figures qu’il avait vues passer dans l’éloignement lui ayant donné l’idée d’une situation romanesque, un soir qu’il rêvait par là pendant un entr’acte, naturellement un maître de café, une religieuse et un comédien de province devinrent les personnages principaux de son roman, et comme dans ladite localité il n’y avait pas l’apparence d’une situation romanesque entre de tels personnages, l’auteur y plaça sans scrupule une histoire dont le fond était réel, et qui est arrivée très loin de là, dans