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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/322

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mêlaient, où tant de peuples divers se rassemblaient, l’ignorance du lendemain, l’insuffisance même de l’existence matérielle, la privation, la fatigue, que sais-je ? mille choses, jointes à la curiosité et à l’insouciance de la jeunesse, écartaient de son esprit les images lointaines qui l’auraient trop vivement troublé. Le plus souvent qu’il le pouvait, il écrivait à Pauline. Ils étaient superflus, les efforts qu’il faisait pour la rassurer. La pauvre femme se désespérait, elle prêtait l’oreille à tous les bruits qui venaient du côté de la Hongrie ; elle lisait ardemment les journaux, mais quelle vérité y trouver ? quelle espérance y puiser ? — La cause des Magyars triomphe sur tous les points, disait l’un ; la cause des Hongrois rebelles est à jamais perdue, disait l’autre. Pauline restait parfois des heures entières penchée sur une carte de Hongrie, se relevait tout à coup et s’écriait en pleurant : — Ah ! mon Dieu ! mon Dieu ! ayez pitié de moi ! — Un jour, dans une réunion intime, elle soutint que la France devait intervenir contre l’empereur d’Autriche et délivrer les Magyars. On la crut folle ; ne fallait-il pas en effet avoir perdu toute raison pour témoigner de la sympathie aux Hongrois, qui, dans les idées du monde, n’étaient alors que des républicains rouges ? Hélas ! c’étaient simplement des hommes qui aimaient leur patrie comme on nous a appris à aimer la nôtre, et qui la défendaient comme nous saurions, j’espère, défendre notre pays.

La vie de George cependant se passait en marches et en combats. Les Hongrois allaient toujours en ordre de bataille, redoutant les surprises. On passait les rivières, on traversait les grands bois pleins d’ombre, qui, le soir, s’emplissaient des feux du bivouac ; on dormait à la belle étoile ; on mangeait ce qu’on pouvait, souvent en maraude et parfois fort mal ; on échangeait quelques coups de fusil avec des vedettes ennemies trop curieuses ; on chantait quelque vieux refrain populaire, on dansait même lorsque les haltes se prolongeaient, et l’on ne se plaignait pas trop. Une longue bande de ces zingari qui vivent en nomades sur les bords du Danube et dans les Carpathes suivait l’armée et souvent se mêlait à elle. Quoiqu’on ne les aimât guère, on les tolérait, car ils rendaient des services ; les femmes pansaient les blessés, et les hommes, qui sont les premiers maquignons du monde, ferraient les chevaux, et en prenaient soin quand ils étaient malades. Lorsque l’armée s’arrêtait, ils établissaient leur campement non loin d’elle, derrière le rempart de leurs chariots réunis en cercle. Attirés par leurs habitudes étranges et leurs pittoresques allures, souvent Ladislas et George se mêlaient à eux et les faisaient danser ou chanter. On les connaissait ; quand ils arrivaient, les enfans presque nus accouraient autour d’eux, les femmes prenaient leur tambour de basque, les hommes