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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/595

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jusque dans ses rades, s’il s’obstinait à n’en point sortir. » Ce fut l’époque où nous avions à la fois de bons et de gros bataillons ; ce serait celle dont je voudrais qu’il me fût permis d’entrevoir le retour. Au début de la révolution, la situation n’était pas changée ; elle était peut-être meilleure encore. La dissolution de l’ancien corps d’officiers nous porta une profonde atteinte. Cependant l’année 1794 vit la flotte de Villaret-Joyeuse, sortant de Brest pour offrir le combat à la flotte de l’amiral Howe, assurer ainsi l’arrivée d’un immense convoi attendu d’Amérique. La journée du 13 prairial fut la dernière bataille offerte à l’ennemi par la marine française. À partir de ce jour, notre, infériorité s’accroît si rapidement, notre confiance est tellement ébranlée, que nous ne livrons plus que des combats défensifs. Pendant cette période douloureuse, la marine n’en révèle que mieux son extrême importance ; son concours fait réussir une grande expédition, ses hésitations en font échouer une plus grande encore. Il y a donc consolation et profit à étudier l’histoire de notre marine, même en ses plus mauvais jours.

Malte et l’Égypte n’étaient pas d’insignifiantes conquêtes. Ces deux possessions nous donnaient la route des Indes et l’empire de la Méditerranée. Sans la flotte de Brueys, nos armées n’auraient trouvé ni le chemin de Malte ni celui de l’Égypte. Cette flotte n’était pas, comme on l’a souvent répété, une flotte de transport. Jamais le général Bonaparte n’eût commis la folie d’exposer à une traversée de quatre cents lieues une armée qui n’eût point été sous la protection d’une flotte de guerre. Qu’on relise les mémoires que Napoléon dictait à Sainte-Hélène, ou verra qu’il se croyait assuré de battre la flotte de Nelson, s’il la rencontrait, et les raisons qu’il en donne me paraissent, je le dis hautement, très plausibles[1]. Voilà ce qui explique la téméraire lenteur avec laquelle l’immortel capitaine s’avançait vers l’Égypte. Il ne croyait point qu’il y eût lieu de surprendre un passage qu’on pourrait au besoin forcer. Lorsque plus tard il voulut envahir l’Angleterre, il n’avait qu’un détroit de quelques lieues à franchir, cinq ou six heures au plus à demander aux

  1. « L’escadre française, profitant du grand nombre de bâtimens légers qu’elle avait, s’éclairait très au loin, de sorte que le convoi n’avait rien à craindre, et pouvait, aussitôt qu’on aurait reconnu l’ennemi, prendre la position la plus convenable pour rester éloigné du combat. Chaque vaisseau français avait, à son bord cinq cents vieux soldats, parmi lesquels une compagnie d’artillerie de terre. Depuis un mois qu’on était embarqué, on avait deux fois par jour exercé les troupes de passage à la manœuvre du canon. Sur chaque vaisseau, il y avait des généraux qui avaient du caractère, l’habitude du feu, et étaient accoutumés aux chances de la guerre. L’hypothèse d’une rencontre avec les Anglais était l’objet de toutes les conversations. Les capitaines de vaisseau avaient l’ordre, en ce cas, de considérer comme signal permanent et constant celui de prendre part, au combat et de soutenir ses voisins. » (Mémoires de Napoléon.)