Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/710

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

donner une idée de la puissance de la poudre, si elle brûlait instantanément, et de l’action qu’elle exercerait sur les tubes où l’on prétend l’enfermer. Nuls moyens humains ne sauraient lui résister, c’est ce qui résulte de plus clair des tentatives que l’on a faites pour mesurer l’effort des gaz qui en proviennent. Ils ne paraissent d’ailleurs constans ni dans leur nature ni dans leur quantité, lorsque la température à laquelle ils se forment vient à varier, car il n’a jamais été possible d’obtenir deux fois de suite des conditions d’expérience identiques et des résultats concordans. Les savans qui ont fait ces recherches ont reconnu que la poudre tassée donnait de deux cents à six cents fois son volume de gaz permanens[1], ramenés à la température ordinaire. De ce seul chef, il y aurait donc une pression de deux cents à six cents atmosphères[2] ; mais on serait bien loin de compte, si l’on prétendait limiter à ce chiffre la puissance de la poudre. La chaleur développée par la combustion est extrême, et elle augmente le volume des gaz de 1/267 pour chaque degré du thermomètre. Il se forme en outre de la vapeur d’eau en quantité variable selon l’état de siccité de la matière et la portion d’hydrogène recelée dans les pores du charbon. Quelques-uns des corps solides qui résultent de la combustion sont aussi volatilisés à cette haute température. Un savant chimiste allemand, M. Bunsen, a estimé la chaleur produite par l’inflammation de la poudre dans certains cas à 3,000 degrés, et le volume des gaz à plus de 4,000 fois celui dans lequel ils étaient enfermés quelques instans auparavant. Le comte de Rumford, qui avant lui s’était aussi occupé de cette question, avait trouvé des chiffres encore plus considérables[3] ;

  1. On sait que les physiciens distinguent les gaz permanens, qui nous apparaissent toujours sous cette forme, des vapeurs qu’un abaissement de température ou une augmentation de pression peut faire passer à l’état liquide. Les liquides, au moment de la vaporisation, absorbent une grande quantité de chaleur qui cesse d’être sensible au thermomètre, et par contre développent une pression considérable.
  2. Comme ce terme, pression de tant d’atmosphères, familier aux physiciens et aux ingénieurs, peut n’avoir pas une signification aussi précise pour tous les lecteurs, il n’est pas inutile de rappeler qu’une pression d’une atmosphère, celle produite par l’air qui nous enveloppe, équivaut à un poids de 103 kilogrammes pour une surface carrée d’un décimètre de côté ; toute augmentation de volume dans un espace fermé équivaut à une augmentation proportionnelle de la pression. Comme terme de comparaison, les machines à vapeur dites à haute pression ne travaillent guère qu’à six ou huit atmosphères au plus. Dans des expériences très hardies et très périlleuses, entreprises par MM. Gay-Lussac et Arago pour déterminer la force expansive de la vapeur d’eau à des températures diverses, ces savans allèrent jusqu’à 24 atmosphères, force de la vapeur d’eau échauffée à 224 degrés.
  3. Le dosage as, as et six, dont on ne s’éloigne jamais beaucoup dans la composition de la poudre, est celui qui, d’après les théories chimiques, donne le plus grand volume de gaz. Cela est vrai si l’on suppose la combustion complète, et si l’on ne tient compte que des corps actuellement connus ; mais à la haute température qui se développe, n’est-il pas possible et même très probable que les matières soudainement réduites en vapeurs produisent des combinaisons dont nous n’avons aucune idée ? Une présomption assez forte en faveur de cette supposition est fournie par le changement d’aspect des crasses qui se déposent dans les armes : grises et tenaces au moment où elles apparaissent, elles tournent au noir, et absorbent l’humidité et l’air même dans un temps si court, qu’il n’a pas encore été possible de les recueillir et de les étudier à leur premier état.