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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/749

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un homme dont les sens ont été finement mordus. Le roman se joue entre deux personnages trop enivrés d’eux-mêmes pour avoir le loisir de se faire souffrir, et dont toutes les journées s’écoulent dans la monotonie du plaisir jusqu’à l’heure inévitable où la source se trouve tarie. Peu et même point d’événemens ; les deux amans sont trop heureux et, je les en soupçonne, un peu trop entachés d’égoïsme pour avoir le temps d’être romanesques. C’est une étude assez curieuse d’une certaine variété de l’amour qu’on pourrait appeler la sensualité attendrie, de l’amour tel qu’il doit être ressenti par deux cœurs sans exigences, par deux esprits sans caprices, par deux natures fines et froides, habiles à éviter tous les excès qui contrarieraient leur bonheur et les empêcheraient de savourer leurs plaisirs. Cet amour naît sans résistance, s’accorde avec abandon, se savoure avec lenteur, et s’évapore comme un flacon d’essence répandu dans un appartement après un nombre d’heures déterminé. Donc ni giboulées de mars, ni orages électriques, ni gelées noires ; un ciel bleu dont quelques nuages légers font encore mieux apprécier l’azur, puis un point noir qui apparaît, une pluie fine et glaciale qui mouille et donne le frisson, voilà toute l’histoire de ces deux amans rapprochés par le printemps, désunis par l’automne, dont l’amour a suivi pas à pas le cours des saisons et l’ordre de la nature. Je ne vous donne pas ce livre comme méritant un prix de vertu, et je ne le recommande pas indifféremment à toutes les classes de lecteurs ; mais les jeunes gens qui touchent aujourd’hui à l’automne de leur jeunesse reconnaîtront une certaine mélodie très familière à la génération dont ils firent partie : ils y retrouveront certaines notes de l’âme et du cœur qu’ils ont aimé à faire résonner de préférence, notes qui n’ont pas trouvé, qui peut-être ne méritaient pas de trouver un musicien, et qui auront disparu dans le vide sans avoir éveillé un écho. Ces notes, je les nomme scepticisme câlin et sentimentalité sèche. Le roman de Louise n’est ni très profond, ni très émouvant, et dénote chez l’auteur moins d’imagination que de finesse ; mais il est très parisien de ton et de sentiment, et peut être lu avec plaisir et sans grand dommage par les jeunes Parisiens de certaines conditions. Le miroir n’est pas de Venise, mais il est assez net : ils pourront s’y revoir avec les traits qu’ils ont eus à certains jours et à certaines heures.

L’auteur ne manque pas de goût ni de tact, et il l’a prouvé en glissant prudemment sur mille détails scabreux qu’un autre n’aurait eu garde d’omettre. Cependant il n’a pas évité tout à fait ce danger, et nous lui signalerons entre autres la description de la chambre de Louise après l’accouchement. En outre, ce livre, qui est généralement écrit avec sécheresse et sobriété, n’est pas exempt de longueurs et de répétitions, et comme ces répétitions portent toujours sur le même sujet, c’est-à-dire sur les joies d’une volupté partagée,