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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/796

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dans le club avec une fortune qui, réunie, atteignait l’énorme chiffre de 2 millions de livres sterling. Au bout de moins d’une année, tous les quatre étaient entièrement ruinés. L’un d’eux, jeune homme de famille noble, fut obligé d’emprunter au garçon du club 18 pence pour payer le port d’une bourriche envoyée par un ami de la campagne qui, comme on le pense bien, ignorait le changement à vue du millionnaire en un pauvre diable. Aussi qu’était-il venu faire dans cet enfer ?

White’s, dans Saint-James street, est ainsi que Brookes’s un des plus anciens clubs de Londres. Il doit son origine à master White, qui, dès 1798, tenait au même endroit un café ou, comme on disait alors, un chocolat (chocolate home). Le club proprement dit ne date guère que de 1736. C’était le lieu de réunion des tories, de même que Brookes’s était le foyer des whigs. Il est moins célèbre que l’autre par ses bons mots, car, selon l’observation de Walter Scott lui-même, les tories se montrent en général moins joyeux compagnons que les whigs, et le célèbre romancier recherchait, malgré ses opinions, la société de ces derniers quand il voulait se mettre en belle humeur. Le White’s Club vit pourtant de beaux jours durant la brillante période de Pitt, de Dundas, de Rose et de Canning. Pitt s’y amusait beaucoup d’une mystification bien connue qu’avait subie son ami Dundas durant une tournée politique en Écosse. Ce dernier, alors ministre, avait fait venir chez lui un barbier d’Edimbourg. Le Figaro écossais, avant de commencer sa tâche, se fit l’écho du mécontentement qui régnait alors dans la ville et dans une partie du royaume contre l’homme d’état, en lui disant avec ironie : « Nous vous sommes très obligés, monsieur Dundas, du rôle que vous avez joué à Londres. — Quoi ! seriez-vous par hasard un homme politique ? demanda Dundas impatienté. J’ai fait demander un barbier. — Oh ! très bien, je vais vous raser, » répliqua avec un salut le praticien. Il rasa en effet une joue du ministre, puis soudain, lui passant le dos du rasoir sur le cou : « Tiens, traître, s’écrie-t-il, voilà pour toi. » Cela fait, il s’échappe à toutes jambes de la maison. Dundas crut pour un instant avoir réellement le cou coupé et appela au secours. Le bruit que le ministre était mort assassiné se répandit dans tout Edimbourg, mais l’alarme fit bientôt place à un immense éclat de rire, et le barbier se vit pour un jour le héros de la faveur publique. Pitt, faisant allusion à cet événement, demandait volontiers à Dundas s’il était bien sûr d’avoir encore sa tête. À ces jeux d’esprit se mêlèrent de bonne heure d’autres jeux d’un plus mauvais caractère. Les armes du club étaient, selon Horace Walpole, un champ vert (par allusion au tapis d’une table à jouer), des dés et trois parolis, avec cette inscription : cogit amor nummi. Au commencement de ce siècle, le White’s était extrêmement riche : en