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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/920

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bouches à feu, et comme les nations civilisées doivent forcément, sous peine de déchoir de leur position, se maintenir au niveau des perfectionnemens obtenus par l’une d’elles, elles suivent toutes la voie qui vient de leur être indiquée, et il est à croire qu’avant peu d’années elles auront des armes perfectionnées, dont la première guerre montrera l’influence sur les opérations militaires. On ne saurait en effet demander au soldat d’affronter le feu de l’ennemi sans lui donner au moins les moyens de riposter.

Déjà l’émulation produite par la découverte de M. Armstrong commence à porter ses fruits. La France cache avec soin des expériences qui ont donné des résultats aussi favorables que ceux obtenus en Angleterre. La Prusse est à la veille d’adopter un système de chargement par la culasse pour les canons de petit calibre, elle espère ainsi accélérer la manœuvre, quoiqu’on ne se rende pas bien compte de l’avantage de ce procédé pour l’artillerie de bataille. En Angleterre même, un fabricant de machines de précision, M. Witworth, a produit des armes qu’il annonce être supérieures à celles de son concurrent : la pièce qui ferme la culasse ne s’enlève pas entièrement, elle est retenue par une charnière, ce qui paraît préférable ; il parvient aussi à pousser les rayures dans l’intérieur de l’âme plus loin que ne l’avait fait son devancier, amélioration douteuse, car il peut être mieux de réserver entre la charge et le projectile un certain vide, analogue à celui que le général Paixhans a établi autour de ses charges allongées. Le canon Witworth ne paraît pas atteindre d’aussi grandes portées que celui d’Armstrong. Tous deux présentent des difficultés de fabrication qui ne peuvent être vaincues que par des ouvriers très habiles et au moyen d’un outillage parfait ; certaines complications de détail prouvent que les auteurs de ces canons sont plus familiarisés avec les artifices de la mécanique qu’avec les nécessités de la guerre. La variété des procédés que l’on essaie fait bien voir qu’aucun d’eux ne satisfait complètement les inventeurs, et qu’il reste beaucoup à faire pour que les idées nouvelles puissent être régulièrement appliquées par l’artillerie. Mais quelle invention a jamais atteint ce résultat de prime abord ? et n’est-ce pas déjà beaucoup d’avoir un tir encore exact dans des conditions d’éloignement auxquelles il y a peu d’années on n’osait pas même penser ?

Il ne faudrait pas s’exagérer cependant l’importance des effets que l’on peut obtenir à d’aussi grandes distances que celles où peuvent maintenant parvenir les boulets. Dans l’avenir comme aux temps passés, il faudra toujours établir une distinction capitale entre la portée extrême et la portée utile du canon. L’application du carabinage aux petites armes ne pouvait présenter que des avantages lorsqu’il s’agissait d’étendre le tir exact de 200 mètres à 8 ou 900.