Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/976

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

somme dont ils s’étaient munis avec tant de prévoyance, ils prenaient, dès le 5 au soir, le chemin de Delhi. Leur première halte fut à Kullianpore (on écrit aussi Kullumpore), où Nana-Sahib vint les rejoindre. On n’a jamais su au juste quelle part ses Mahrattes lui avaient faite dans le partage du trésor ; il est à supposer qu’elle fut considérable. On n’a jamais su non plus de quels argumens il se servit pour décider les cipayes insurgés à le reconnaître pour chef. Les raisonnemens qu’on lui a prêtés sont plausibles. « Pourquoi, aurait-il dit à ces hommes, pourquoi laisser vos officiers derrière vous ? Si l’Angleterre vient à triompher, vous êtes perdus, vous êtes marqués. Vos anciens chefs sauront vous traquer partout et vous reconnaître. Pourquoi laisser la vie à ces odieux Fering-hees ? Pourquoi leur laisser les trésors qu’ils ont entassés derrière ce retranchement dont vos canons : et les miens auront si facilement raison[1] ? » Quand on s’adresse en même temps à la couardise et à la cupidité des hommes, on a grande chance d’être écouté. L’éloquence de Nana-Sahib, stimulée par ses projets ambitieux, — il ne rêvait pas moins que de redevenir, comme son père adoptif, peskwah, c’est-à-dire vice-roi, du riche district de Poonah, — changea les projets des cipayes. Le 6 juin, à huit heures du matin, ils revinrent vers Cawnpore. Le Nana marchait cette fois à leur tête ; il posa son camp au centre même de la station, et ce brahmine de haute caste, — mais au fond dépourvu de tout préjugé religieux, — hissa deux étendards devant sa tente, l’un pour Mahomet, l’autre pour Hunaman, la divinité des Hindous. Les fidèles de tout culte avaient ainsi satisfaction, et devaient, faisait-il proclamer, le rejoindre sans retard. Puis, par son ordre, cinquante sowars (cavaliers) fouillaient la ville de tous côtés, avec ordre de sabrer impitoyablement d’abord tous les Européens qui s’offriraient à leurs coups, puis les natifs même qu’on saurait convertis au christianisme. Dès le lendemain 7, le général Wheeler recevait une lettre où Nana-Sahib, jetant enfin le masque, lui annonçait une attaque très prochaine. Deux canons, mis en batterie au nord-ouest de l’enceinte fortifiée, ouvrirent le feu presque aussitôt. Une vive fusillade commença de tous côtés. Le 8, trois canons de plus furent mis en position, et enfin, dès le 11, l’ennemi battait jour et nuit le misérable « retranchement » et ses deux casernes avec treize pièces d’artillerie[2].

  1. Ce dernier argument était appuyé du témoignage des artilleurs de l’Oude, éblouis sans doute par ce qu’ils avaient pu voir d’amoncelé dans l’étroite enceinte où toute une population avait emporté ses effets les plus précieux.
  2. Trois mortiers, deux canons de 24, trois de 18, deux de 12, deux de 9 et un de 6.