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l’autre versant de la presqu’île. Je viens tous les jours de grand matin visiter mes appâts et explorer mon quartier de pêche. Je fais une sieste, je fume une pipe, je me remets en pêche quand le temps est bon, et au coucher du soleil je retourne à la ville.

— Et vous ne laissez ici personne ? Votre propriété est respectée durant la nuit ?

— Oui, grâce aux douaniers et gardes-côtes qui sont échelonnés sur le rivage. Les gens du pays sont généralement honnêtes ; mais nos sentiers déserts, nos bastides isolées les unes des autres par de vastes vergers sans clôture, tentent ce ramassis de bandits étrangers que la mer, les grands ateliers et les chemins de fer nous amènent. Vous voyez que tous nos rez-de-chaussée sont grillés comme des fenêtres de prison, et si vous demeuriez ici, vous sauriez qu’on ne sort pas la nuit sans être bien accompagné ou bien armé. Malgré tout cela, on vole et on assassine ; mais avec un bon revolver et un bon casse-tête on peut aller partout.

— Vous ne me donnez pas grand regret d’avoir dans vos parages une propriété à vendre au plus vite. Je n’aimerais pas à vivre sur ce pied de guerre avec mes semblables.

— Les bandits ne sont pas nos semblables, reprit-il ; mais venez donc jeter un coup d’œil sur nos rivages, et puis nous irons voir votre propriété.

Le terrain de la plage assez vaste qui se prolongeait vers le sud était plat et coupé d’une multitude de cultures à peu près toutes semblables : des plantations de vignes basses rayées de plantations d’oliviers et de larges sillons de céréales hâtives et souffreteuses ; dans chaque enclos, une bastide généralement laide et décrépite. Celle de M. Pasquali était agréable et confortable ; mais, placée au niveau de la mer, elle n’avait pas de vue, et, comme j’en faisais la remarque, il me dit : — Vous ne connaissez pas le pays. Là où nous sommes, il ne paie pas de mine, mais vous ne le voyez pas. Je me suis planté au ras du flot, parce que j’y suis abrité du mistral par la colline, et parce que tout ce que j’aime dans la campagne, c’est l’eau salée, c’est le roc submergé et les intéressans animaux qui s’y cachent et qui me font ruser et chercher. Cependant, si vous aimez les belles vues, faisons deux cents pas un peu en raideur, et vous ne regretterez pas votre peine.

Nous gravîmes un escalier rustique formé de dalles mal assorties qui, de terrasse en terrasse, nous conduisit au sommet de la colline, tout près d’une maison basse assez grande et assez jolie pour le pays. Le toit de tuiles roses se perdait sous les vastes parasols d’un large bouquet de pins d’Alep négligemment, mais gracieusement jeté sur la colline. Au premier abord, ce dôme de sombre verdure