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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/623

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Très dédaigneux de l’opinion, et prenant pour une marque de supériorité intellectuelle ce qui n’était que le signe d’un esprit étroit, Louvois se vantait de n’être plus malade d’un mal dont on avait été entaché avant lui, le « qu’en dira-t-on ? » Aussi négligeait-il un moyen de gouvernement dont le cardinal de Richelieu s’était beaucoup servi et avec un grand profit, les journaux. Les bruits les plus ridicules et les plus dangereux se répandaient dans la foule, sans que Louvois se donnât la peine de les faire démentir. Vauban, dont l’esprit, beaucoup plus élevé et plus étendu, comprenait très bien la puissance de l’opinion dans les affaires humaines, lui en faisait amicalement reproche. « Je voudrais un gazetier, écrivait-il à Louvois le 14 juillet 1674, qui fût capable de tourner en ridicule (mais bien à propos) ceux de Hollande et de Bruxelles sur l’infinité d’hyperboles qu’ils nous débitent, car il est fort honteux à nous qu’il paraisse à toute l’Europe qu’on parle mieux français dans les pays étrangers que chez nous. Je sais que vous traitez la Gazette de bagatelle, mais ils n’en font pas de même, et je crois qu’ils ont raison, car après tout elle a pouvoir sur la réputation. »

La hardiesse de Louvois à braver le « qu’en dira-t-on ? » ne le rendait d’ailleurs nullement endurant pour ceux qui parlaient mal de lui ; la seule liberté qui n’ait jamais disparu en France, c’est la liberté de la conversation, liberté très précieuse sans doute, mais qui, au lieu de nous servir à en prendre d’autres, nous console trop souvent de les avoir perdues. Au plus brillant du règne de Louis XIV, on s’indignait à la cour contre les dévastations ordonnées par Louvois dans les pays conquis. L’évêque d’Utrecht, étant venu à Saint-Germain en 1673, pendant que le maréchal de Luxembourg vaquait dans son diocèse aux contributions et aux incendies, fut très étonné d’entendre les courtisans s’apitoyer avec lui sur les misères de sa province, détestant les cruautés dont elle était victime ; l’un d’eux même s’abandonna si fort « à dire le diable contre la France, » que le bon évêque, de retour à Utrecht, dit naïvement à Luxembourg : « L’on parle librement en France, et chacun dit son avis. » Il eut cependant la prudence de ne citer aucun nom. Louvois aurait bien voulu les connaître, Luxembourg aussi. « Pour moi, s’écriait ce dernier, j’avoue que je ne sais ce que je serais capable de faire contre telle canaille. »

Ce qu’il était capable de faire, on le sait quand on l’a entendu raconter en ricanant comment il punissait en Hollande l’impudence de ceux qui osaient résister à ses sauvages exactions : « J’envoyai, il y a trois jours, M. de Maqueline pour châtier des paysans qui avaient tiré sur un de nos partis ; il ne les trouva pas assemblés, et ainsi il fut contraint de brûler seulement leur village, et comme ce fut la