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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/102

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subtile, métaphysique et religieuse, a une saveur singulière pour des intelligences lassées par les révolutions et ramenées à une sorte de goût étrange de tous les raffinemens intimes. Et cette qualité même de grande dame n’a point nui à Mme Swetchine ; elle l’a servie au contraire auprès d’une société où les lois et les instincts sont plus démocratiques que les mœurs, où on ne résiste pas à ce charme de paraître initié à un monde supérieur, ne fût-ce que par les lectures et les goûts de l’esprit. Rien de moins populaire pourtant et de moins fait pour le bruit que la nature du talent de Mme Swetchine : cette finesse concentrée, qui est le trait de son intelligence, ne peut être goûtée que de quelques curieux de tous les secrets intérieurs. C’est une littérature d’initiés, comme c’est une figure d’initiée, et en réalité, parmi toutes les femmes qui un jour ou l’autre ont brillé dans la société française, qui ont eu leur heure de royauté ou d’influence, Mme Swetchine n’est point de celles dont le génie est tout lumière et expansion, qui, après avoir vécu de la vie de leur temps, laissent après elles une sorte de fascination. Elle n’a aucun de ces dons qui attirent et font une renommée universelle. Sa vraie place n’est point au grand jour ; elle serait plutôt en quelque lieu retiré, comme cet oratoire qui était son refuge, où brûlerait dans une lampe d’albâtre une petite flamme perpétuellement agitée, image de son esprit, et où quelques amis fidèles viendraient l’honorer. Par l’essence même de ses opinions comme par un genre d’esprit méditatif et subtil, Mme Swetchine ne parle qu’à quelques-uns, tandis que Mme de Staël, c’est la passion communicative d’une puissante et libérale nature qui se révèle jusque dans un simple billet à une amie, tandis que Mme de Sévigné surtout, après avoir été la grâce vivante et l’ornement d’une grande époque, montre encore au-dessus de son siècle ce visage rayonnant de jeunesse et d’éclat qui parle à tout le monde, laissant voir ainsi dans la mesure d’une humanité charmante ce que peut toujours être la puissance des femmes au sein d’une société polie, même au sein d’une société démocratique qui n’a pas renoncé à l’élégance et à l’esprit.


Charles de Mazade.