Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/178

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
174
revue des deux mondes.

autres voyageurs à la porte. C’est donc ici comme chez nous ? Le modeste piéton a tort sur tous les chemins du monde.

La Prairie du Chien, 31 août.

De Milwaukee à Madison en chemin de fer. Le pays est comme l’immense lisière de l’immense forêt américaine que nous n’avons pas cessé de traverser depuis New-York, c’est-à-dire pendant huit cent cinquante lieues. Les arbres commencent par se disséminer sur les coteaux, puis ils disparaissent entièrement pour ne laisser voir que de grosses collines bien tapissées d’herbages. Ces buttes arrondies, d’un vert épinard un peu trop cru, ressemblent à d’énormes taupinières. Nous retrouvons cependant la végétation arborescente sur les rives du Visconsin, débordé sous bois et noyant les fougères et les sauges rouges, qui brillent au soleil comme des pointes de feu au milieu de la verdure.

Le chemin de fer s’arrête brusquement devant le Mississipi. — Nous sommes à la Prairie du Chien, vaste espace terminé à droite par des plateaux formés de terres largement stratifiées, à gauche par des collines boisées. En face s’étend la plate et large vallée où coule le Mississipi. Une église catholique, une école surmontée d’une colossale plume en fer-blanc qui sert de girouette, l’hôtellerie où nous logeons régulière et carrée, quelques maisons de bois et chalets disséminés sur cette vaste pelouse, me rappellent un de ces villages en bois peint à l’usage des enfans que l’on aurait éparpillé sur un grand tapis de billard. Ce village est l’extrême limite de la civilisation dans l’ouest, jusqu’à ce que le chemin de fer ait franchi le Mississipi.

1er septembre. — Toute la nuit n’a été qu’un coup de tonnerre et un éclair ininterrompus. Le chemin de fer ne marche pas le dimanche, et le bateau qui doit nous descendre jusqu’à Saint-Louis n’arrivera que ce soir. Puisque, grâce à Dieu, on passe ici toute la journée, je vais en profiter pour chercher dans la prairie les bisons et les démons à peau rouge campés de l’autre côté du fleuve. Il pleut ; mais pleuvrait-il des flèches empoisonnées, je ne me priverai pas d’une des rares promenades solitaires dont cette course au clocher me laisse le loisir. Je pars. La pluie redouble, et je me réfugie sous un gros bateau en réparation perché sur des pieux dans la vase. Le théâtre représente le Mississipi par un bien vilain temps. Le paysage n’en est pas moins grandiose, vu de ma stalle un peu mouillée. Le père des fleuves coule en trois grands bras au milieu d’îlots de plantes et d’arbres qui trempent leurs chevelures dans le courant. Une longue plage est couverte de racines, de souches, de