Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/214

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
210
revue des deux mondes.

traction le jour où elle a créé cet intermédiaire entre deux types que leur ressemblance effraie mutuellement, l’homme et le singe ? Ce Boschiman hideux est-il notre ancêtre, ou bien, placé dès les premiers cages de la vie dans des conditions funestes, a-t-il été privé des moyens de développement que notre race a su mettre à profit ? En présence de ce monstre, j’aime mieux croire à la pluralité des races primitives.

J’avais besoin d’oublier ce bimane et de rire des gentillesses d’un phoque qui donnait la patte, faisait l’exercice, tirait bravement un coup de fusil, et, sur l’invitation paternelle très sérieusement énoncée de son cornac, imitait les dames de Neivport qui vont au bain et se jettent de l’eau.

En mer, 20 septembre.

Partis de Boston par un beau temps froid, à dix heures du matin, nous filons sur Terre-Neuve. À quatre heures, nous allumons du feu comme en hiver.

27 septembre. — Beau temps, plus froid, houle très forte.

28 septembre. — Brouillard, soleil à midi. Toujours plus froid quand même. Je passe mon temps à piquer, trier et spécifier mes insectes et autres prises.

29 septembre. — Nuit de brume, un peu de soleil à midi, forte houle. À dix heures du soir, nous entrons dans le port de Saint-Jean de Terre-Neuve ; on ne débarque pas. Le temps s’est éclairci ; mais quel froid ! Je ne peux pas me persuader que je vais retrouver un peu d’été chez nous.

Saint-Jean de Terre-Neuve, 30 septembre.

« On ne doit point appeler ce pays terre, écrivait Jacques Cartier, ce sont bien plutôt cailloux et rochers sauvages, et lieux propres aux bêtes farouches… Je n’y vis pas autant de terre qu’il en pourrait tenir en un tombereau… Il n’y a autre chose que mousse et buissons çà et là séchés et demi-morts… Je pense que cette terre est celle que Dieu donna à Caïn. »

Depuis trois cents ans, les habitans de cette triste colonie ont remué les quelques tombereaux de terre, et sont parvenus à y faire pousser de pauvres céréales. J’y trouve des avoines de six pouces de haut qui n’ont que trois ou quatre grains par épi et qui essaient de mûrir sous les six degrés de chaleur que nous respirons aujourd’hui. En s’enfonçant dans l’intérieur de l’île, on trouve de petits lacs assez pittoresques dans des entonnoirs de rochers. Des bouleaux et des sapinettes qui rampent sur le sol jettent un peu de