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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/231

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rais mieux aimé un ton moins absolu. Considéré en lui-même, l’esclavage est injustifiable ; quand c’est un fait ancien, traditionnel, reconnu et constitué par la loi, il n’y faut toucher qu’avec des ménagemens. L’exemple de Saint-Domingue montre, quoi qu’on en dise, le danger d’une émancipation violente et subite. Substituer à l’esclavage des noirs la ruine et le massacre des blancs, c’est remplacer un mal par un autre. On oppose à ce lugubre souvenir le succès relatif de l’affranchissement dans les colonies anglaises et plus récemment dans les nôtres ; mais si ces deux réformes ont mieux réussi, c’est qu’on y a mis plus de précaution et de mesure. Rien ne prouve qu’en ménageant un peu plus la transition elles n’auraient pas réussi mieux encore. M. du Puynode passe rapidement sur la question de l’indemnité ; tout est là pourtant. En droit strict, il n’est pas dû d’indemnité aux propriétaires d’esclaves, puisque leur propriété est un attentat à l’humanité ; en fait, c’est l’indemnité qui a rendu l’émancipation possible sans trop de malheurs, et au point de vue du droit positif l’indemnité devient légitime et obligatoire dès l’instant que la propriété de l’esclave a été assimilée par la loi écrite aux autres propriétés.

Ce serait le sujet d’un beau livre que l’histoire des colonies dans l’antiquité et dans les temps modernes. M. du Puynode en trace une esquisse pleine d’intérêt. On devine aisément à quelles conclusions il arrive : c’est l’abandon de tout système colonial, de toute colonisation artificielle, de tout monopole commercial et même de toute autorité de la part de la métropole sur ces nouveaux états que va former au-delà des mers l’expansion naturelle et libre de sa population. Sauf les réserves qu’il faut toujours faire pour adoucir le passage du présent à l’avenir, il est impossible de ne pas être de son avis. À ce sujet comme en toute chose, l’Angleterre, cette reine du monde colonial, nous donne un grand et salutaire exemple : plus elle affranchit ses colonies, plus elle les voit croître et prospérer, et plus elle tire profit pour elle-même de ses relations avec elles. Les hommes d’état de ce pays envisagent même sans crainte et sans déplaisir le moment où, comme les États-Unis d’Amérique, et avec moins d’effort, les nouvelles possessions anglaises se détacheront de la couronne britannique pour vivre tout à fait d’une vie propre et indépendante. « Sans doute, disait récemment lord John Russell dans le parlement, je prévois comme tous les bons esprits le moment où nos colonies, devenues puissantes en population et en richesse, se sépareront de nous. Ne cessons pas pour cela de faire tout ce qui est en nous pour les rendre aptes à se gouverner elles-mêmes. Quoi qu’il arrive, nous aurons la consolation d’avoir contribué au bonheur du monde. »

M. du Puynode aborde ensuite une question toute théorique, celle des limites de l’économie politique et de la nature de la production. Reprenant une thèse indiquée par Say et développée supérieurement par M. Dunoyer, il recherche si ce qu’on appelle la production immatérielle, c’est-à-dire le travail des savans, des artistes, des médecins, des hommes de loi, des mili-